Les échecs ont connu un essor inédit ces dernières années depuis les confinements imposés par l’État en 2020 et 2021, d’abord avec le jeu en ligne. Après la pandémie, beaucoup de personnes ont poussé les portes des clubs, souhaitant dépasser l’aspect virtuel et donner au jeu une dimension sociale. L’Échiquier Bisontin, club émergent basé à Planoise, s’inscrit dans cet élan et vient compléter l’activité du club d’échecs historique de Besançon, la Tour Prend Garde. L’occasion d’évoquer comment ce sport s’inscrit dans la capitale comtoise, de la pratique concrète à la place des minorités de genre jusqu’aux sempiternelles questions financières.
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L’Échiquier Bisontin : la convivialité et le « faire avec »
« Une des vertus du jeu d’échecs, c’est de mettre en relation des personnes de tous âges, de toutes cultures, de toutes origines sociales, de tous genres. C’est sans doute le seul sport qui permet cela. » Ce sont les premiers mots de Claude Hugonnot, lorsqu’il présente l’Échiquier Bisontin, club d’échecs qu’il a fondé dans le quartier de Planoise fin octobre 2023. Comme dans tout sport, l’aspect compétitif peut vite prendre le pas sur la dimension conviviale. L’objectif de Claude : garder au centre de la pratique cette rencontre permise autour d’un échiquier. Ça ne signifie pas pour autant abandonner complètement la compétition : le club prévoit d’avoir des équipes en régionale et de mettre en place des tournois internes à partir de septembre.
Les échecs sont communément qualifiés de Roi des jeux et jeu des rois. Vrai peut-être à l’origine puisqu’il s’agissait d’un jeu d’aristo, ce chiasme n’est plus du tout d’actualité. Pourtant aujourd’hui, cette image de jeu réservé à une élite bourgeoise est toujours ancrée dans l’imaginaire collectif. Vu sous cet angle, installer le siège social de l’Échiquier Bisontin à la maison de quartier Nelson Mandela de Planoise a tout son sens. Ce n’est cependant pas l’unique motivation de Claude, qui a participé à un certain nombre d’échanges à propos de l’insertion des associations dans les quartiers. « Il y a un terme qui revient souvent, nous confie-t-il, c’est aller vers ». Ce terme plein d’ambition, Claude a fini par le trouver artificiel : lui ce qu’il veut, c’est « faire avec. » L’Échiquier Bisontin a été créé avec les habitant·e·s qui s’investissent activement dans le fonctionnement du club.
Des interventions dans des cadres variés
Au bout de cinq mois d’existence, l’Échiquier Bisontin compte 41 licencié·e·s et cumule plus de 150 heures d’animation dans les quartiers. Il intervient dans le cadre du contrat de ville sur Planoise, Montrapon et Saint-Claude. Pour cette première année, les subventions touchées servent à acheter du matériel mais aussi à financer la participation des membres à des tournois et à couvrir le prix des licences, ce qui permet la gratuité des adhésions. En plus d’être présent tous les samedis au centre Mandela pour des cours, des initiations et du jeu libre, le club intervient dans le cadre scolaire à l’école Durer (Planoise) et à l’école Brossolette (Montrapon).
À cela s’ajoutent des activités en partenariat avec des associations telles que le Club Sauvegarde, Miroirs du monde et le Centre Loisirs Jeunesse. Des partenariats avec l’association Pari et l’École de la Seconde Chance sont également à l’étude : « nous répondons à toutes les sollicitations, les vertus du jeu d’échecs se déclinent à l’infini ». Cet été, le club organisera des animations dans le cadre de Quartiers d’Été et Vital’été. L’Échiquier Bisontin interviendra également dans les maisons de séniors, notamment à Saint-Claude, avec pour ambition de créer une dynamique entre les jeunes et les ancien·ne·s des quartiers qui dépasserait la pratique des échecs.
Zoom sur la TPG, club historique de Besançon
Créé en 1929, le club la Tour Prends Garde (TPG) est bientôt centenaire. Présent à Ludinam le 4 mai dernier, Laurent Abbenzeller, président, a accepté de prendre du temps pour nous parler un peu du club : « notre but principal c’est quand même de jouer aux échecs, mais on est aussi là pour transmettre ». Pour l’année en cours, le club est pour l’instant à plus de 350 licencié·e·s, ce qui place la TPG en 18e position parmi les clubs en France. Les enfants sont nombreux·ses à bénéficier de l’activité de la TPG : « cette année, autour de 500 enfants ont été initié·e·s aux échecs, pour l’année scolaire à venir on table sur 600. » Le club intervient également dans les maisons de quartier, se partageant le secteur avec l’Échiquier Bisontin : l’an prochain la TPG interviendra à la Grette et aux Bains-Douches à Battant.
L’entrainement sportif est assuré tous les samedis et un vendredi sur deux à la maison de quartier de Saint-Ferjeux pour les adultes ainsi que les mercredis et les samedis pour les jeunes, à la Grette. Le club organise également des tournois ainsi que des parties amicales à la gare d’eau durant l’été. Question compétition, on peut dire que la TPG assure : des équipes en régionale, mais aussi en nationale 1, 3, 4 et une équipe féminine en nationale 2. « Au niveau des jeunes on essaie vraiment de pousser le truc, cette année 17 jeunes sont allé·e·s au championnat de France. » Pour la TPG, l’aspect financier ne doit pas faire obstacle à la pratique des échecs : le club a aidé les familles des participants en s’occupant du logement et en prenant en charge une partie des frais annexes : 2200 euros au total.
Combien de joueuses ?
La proportion de féminines à l’Échiquier Bisontin avoisine les 44%. C’est plus du double de la moyenne nationale (20%) : « Nous avons beaucoup d’enfants, à cet âge-là les filles s’intéressent aux échecs. C’est à l’adolescence qu’elles s’en éloignent. » Un constat confirmé par la TPG : les jeunes joueuses qui viennent au club sont nombreuses à arrêter autour de 17 ans, « le bac arrive et après c’est fini, tu les revois plus. » Résultat : malgré les 32% de femmes, la TPG manque de féminines, surtout en compétition « sur 150 licences A, on a 4 féminines. » « Aujourd’hui on a de grandes joueuses qui peuvent rivaliser. Mais ça reste quand même une pratique masculine », concède Claude. Et qui dit environnement masculin dit…
Eh oui, il y a eu un MeToo échecs, forcément. Suite au bruit médiatique, la Fédération Française des échecs (FFE) lance en 2023 un plan de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, mais il y a du taf. Le sexisme ordinaire reste bien présent, renforcé par l’imaginaire de la guerre rattaché aux échecs qui selon certains, du fait de leur dimension combattive, ne seraient pas faits pour les femmes. Claude souligne l’absurdité de la situation : « [les échecs] restent un jeu encore trop masculin alors que c’est surement le sport le plus inclusif possible », avant de pointer du doigt le fait « qu’un joueur d’échecs redoute même d’affronter une femme. » Peut-être parce que la possibilité d’une défaite taquine un peu trop le mythe de la virilité ?
La question trans
Si la Fédération Internationale des Échecs (FIDE) semble s’intéresser aux thématiques féministes, elle reste réactionnaire quant à l’intégration des personnes trans’. En août 2023 la FIDE annonce la suspension des joueuses transgenres de ses tournois, jusqu’à ce que des « décisions » soient prises au cas par cas. Si la fédération française a refusé d’appliquer cette mesure, ça n’empêche pas les échecs, comme la plupart des sports de compétition en France, d’arriver avec son lot de discriminations transphobes, y compris au niveau institutionnel. Pour Claude, comme c’est l’esprit qui prime aux échecs, le genre n’a pas d’influence sur la performance : « Le problème pour la FFE n’est peut-être pas trans ou pas trans, mais les compétitions hommes-femmes séparées. La solution, on y viendra sûrement, est de ne faire que des compétitions mixes et là, plus de problème. » Pour Laurent non plus, la question du genre n’a pas à interférer avec la pratique des échecs : « il y a une streameuse [trans] qui s’appelle Yosha, je regarde toutes ses vidéos et je la trouve d’enfer ; elle est super bonne aux échecs, elle explique super bien, c’est ça qui m’intéresse, le genre on s’en fout. »
Le jeu des chèques à Besac
Le budget total de la TPG par année est d’environ 25 000 euros de subventions auxquelles s’ajoutent 10 000 de donations. Un budget qui couvre difficilement les frais du club, avoue Laurent : « c’est vraiment peu par rapport à certains clubs comme Belfort qui n’a même pas une équipe en N1 et dispose d’un budget qui est dix fois le nôtre. » C’est la mairie de Belfort qui fait pencher la balance, car pour les clubs d’échecs les subventions nationales, régionales et départementales ne pèsent pas lourd. Si des subventions sont accordées à la TPG de la part de la mairie en tant qu’association intervenant dans les quartiers prioritaires, celle-ci ne reçoit que peu de soutien financier en tant que club sportif : « si on ne met pas la main à la poche de notre côté, ça réduit ce qu’on peut faire. » Le président de la TPG n’a pas souhaité s’étendre plus sur la quasi-absence de soutien financier direct de la part de la mairie ; néanmoins, au vu des performances sportives de ce club, il est légitime de creuser la question.
Dans un extrait du registre des délibérations du conseil municipal de Besançon du 22 juin 2023, on peut lire que « la Ville apporte une aide financière particulière aux clubs de sports collectifs dont une équipe au moins évolue dans un championnat national. » Bien que correspondant à cette définition, la TPG ne figure pas dans la liste. Parmi les clubs subventionnés, on trouve notamment les footballeurs du Racing Besançon et le Besac Basket. Par rapport à ces deux clubs, le club de la TPG Besançon a un nombre comparable de licencié·e·s, au moins autant de joueur·euse·s en championnat national (avec en bonus une équipe féminine) et est mieux classé dans sa discipline. Pour l’année en cours, 200 000 et 230 000 euros de subventions ont été accordés respectivement au Racing Besançon et à Besac Basket. La TPG, elle, s’est vue allouer 1 950 euros par le service des sports. La règle de trois qui a été appliquée pour déterminer ce montant reste à ce jour un mystère non élucidé par nos équipes de mathématicien·ne·s.
Illustration : Antoine Mermet/Hans Lucas pour le Ch’ni.