Jérôme Conscience et Franck Defrasne, ex-président et actuel président de la LICRA de Besançon, entourant Mila Orriols, militante d’extrême-droite.

Proche des carrés conservateurs et macronistes, la LICRA de Besançon entend être une association de lutte contre les discriminations. Elle n’en est pas moins habituée aux polémiques, comme le 9 décembre 2020 : lors d’une conférence au lycée Pergaud, son président de l’époque y avait notamment comparé la peur de l’islam avec l’arachnophobie, proposé l’intégration du racisme antiblanc, ou fait le parallèle entre signes religieux tels que le voile et exhibition d’un drapeau du « Front national. » Erreur dans le choix des mots, ou ancrages plus discutables ? En marge de l’affaire Mila, proximités et complaisances interrogent.

Quelques photographies, devenues embarrassantes

Ces derniers jours, le dossier agite les réseaux sociaux. Mila Orriols, promue égérie du camp présidentiel et des influenceurs identitaires, s’est une nouvelle fois illustrée dans des travers peu glorieux. Lors d’échanges crus diffusés depuis un « space », elle a déclaré vouloir « absolument voir » des clichés « d’Arabes scotché·e·s de la tête aux pieds accroché·e·s à des feux rouges » proposés par un ami franco-israélien. Un dérapage choquant qui ne souffre d’aucune interprétation possible, lui faisant perdre ses fidèles appuis comme ceux du philosophe Raphaël Enthoven. Les propos ont depuis été signalés à la justice, ainsi que l’a précisé la sénatrice LFI Farida Amrani.

Si Mila était jusqu’alors considérée par les cercles universalistes et réactionnaires comme une icône de la lutte contre l’intégrisme musulman, d’autres observateurs avaient au contraire estimé très tôt que les positions de la jeune femme relevaient davantage de l’islamophobie et du racisme. Une discordance dans le débat, que la LICRA de Besançon ne pouvait ignorer. C’est donc en toute connaissance de cause que lors des universités d’automne du 10 octobre 2021, l’ancien président Jérôme Conscience et l’actuel président Franck Defrasne prenaient la pose avec l’intéressée et diffusaient leur prise. Une publication publique, toujours librement consultable.

Deux femmes, membres du groupe xénophobe « Némésis », posent auprès d'un visuel identitaire qu'elles viennent de coller.
Mila Orriols auprès de la référente régionale Franche-Comté de « Némésis », apposant un autocollant du groupuscule – capture d’écran.

Bien avant cette actualité, les dirigeants locaux auraient donc pu s’interroger sur la pertinence d’un tel étalage. D’autant plus avec la multiplication des récentes controverses, d’un partenariat chez les suprématistes blancs à la livraison d’interviews tendancieuses, jusqu’à l’adhésion au sein du collectif xénophobe « Némésis ». Passage d’ailleurs effectué auprès de la référente comtoise du groupuscule, mise en cause dans de multiples exactions aux relents racistes. On s’étonnera de découvrir les communiqués de la LICRA de Besançon, qui, alors qu’elle s’est toujours montrée solidaire avec Mila, dénonçait aussi les opérations menées par cette formation et ses ouailles.

Un numéro d’équilibriste confus, mais qui ne s’arrête pas là. Dans l’album personnel de Jérôme Conscience, entre Gabriel Attal ou Édouard Philippe, on retrouve d’autres figures épineuses, dont Amine El Khatmi. Chroniqueur à CNews et Sud radio, promoteur de « Livre Noir » et convoité par le « Rassemblement National », il fut aussi l’initiateur du think-tank « Printemps Républicain », structure qui s’est entre-temps désolidarisée de son gênant co-fondateur. Un cursus édifiant, mais qui, là encore, n’a pas été jugé rédhibitoire par les tuteurs bisontins. Par la promotion de personnalités aussi clivées, une bienveillance pour l’extrême-droite se dessine bien.

Amine El Khatmi, ancien Président du Printemps Républicain, photographié avec Jérôme Conscience et Franck Defrasne, ex-président et actuel président de la LICRA de Besançon.
De gauche à droite, Amine El Khatmi, Jérôme Conscience et Franck Defrasne – capture d’écran.

Une « marche contre l’antisémitisme » le 12 novembre dernier

Un esprit de concorde singulier, qui a culminé avec l’organisation d’une « marche contre l’antisémitisme » le 12 novembre dernier à Besançon. À l’instar de plusieurs villes en France, l’événement fut surtout marqué par une implication notable de l’extrême-droite ainsi que la commission de violences visant les militant·e·s de gauche. Localement, alors que représentant·e·s du « Rassemblement National » et de « Reconquête » étaient accueilli·e·s en grande pompe, les membres de « Juifs et Juives Révolutionnaires » (JJR) furent quant à elleux insulté·e·s, menacé·e·s et frappé·e·s, du seul fait de leur présence visible, sous le regard passif du staff et de la police.

« Nous voulions simplement exprimer notre désaccord avec cette récupération, en tant que petit-fils de déporté j’avais toute légitimité à le faire. Mais pendant qu’on tabassait des israélites et leurs allié·e·s d’un côté, de l’autre, il y avait le gratin PS-EÉLV-PCF et le Préfet, main dans la main avec les cadres RN et REC. Un type a même fait un simulacre de salut fasciste à cette occasion, c’était hallucinant. Puis les forces de l’ordre n’ont rien trouvé de mieux à faire que de procéder à un contrôle poussé, uniquement pour nous bien sûr. Malgré le fait que ces incidents aient été dénoncés, aucun des principaux partis, syndicats ou collectifs du secteur n’a réagit » explique un référent des JJR.

Une dizaine de Juifs Révolutionnaires participent à une marche contre l’antisémitisme, avec drapeau rouge et noir frappé de l’étoile de David.
Les membres de « Juives et Juifs Révolutionnaires », lors de la « marche contre l’antisémitisme » du 12 novembre 2023 esplanade des Droits Humains à Besançon – TdP.

Sur le terrain, le panorama politique observé a en effet pu laisser songeur : la droite dure incarnée par Ludovic Fagaut (LR), des responsables Lepénistes tels que Jacques Ricciardetti, Thomas Lutz et Nathalie Fritsch (RN), les portes-voix d’Éric Zemmour comme Fabrice Galpin (REC), ou encore d’authentiques sympathisants de références pétainistes et négationnistes, à l’image de Matteo B., compagnon de route des néonazis de « Vandal Besak » (VDL BSK). « Que certain·e·s n’aient pas tout décelé ou tout compris, certes. Mais la délégation d’élu·e·s RN et l’hostilité envers les JJR, c’était immanquable ! » tranchait ainsi Barbara Romagnan, présidente de la LDH de Besançon.

L’épisode reste aussi amer pour les antifascistes, dont un observateur dresse le constat sévère : « Créer un front contre l’antisémitisme avec une formation fondée par des SS, on est dans la quatrième dimension ! La LICRA s’est transformée en marche-pied inespéré pour cette génération de nationalistes, qui a pu fouler le sol de la ville dans un mouvement a fortiori présenté comme antiraciste. » Interpelée en amont et en aval de cette date, la section ne donnera jamais suite. Au micro de France Bleu, le président Franck Desfrane préférera éluder toute rétrospective et parler « d’une belle réussite ». « La défaite est novatrice, la victoire conservatrice » écrivait Werber.

Illustration d’en-tête : Jérôme Conscience, Mila Orriols et Franck Defrasne, en marge des universités d’automne de la LICRA, prenant la pose pour une photographie, publiée le 10 octobre 2021 sur les réseaux sociaux – capture d’écran.