Dessin Chav

Le 11 avril dernier, le livre « Transmania » sortait. Avant même sa parution, la prétendue « enquête choc sur les dérives de l’idéologie transgenre » rédigée par Marguerite Stern et Dora Moutot a beaucoup fait parler d’elle. Les deux autrices sont en effet connues pour leur activisme anti-trans visant systématiquement la polémique, l’annonce de leur ouvrage s’inscrivant d’ailleurs dans le cadre du TdOV (ou journée de la visibilité trans). Pas de surprise au fil des pages, où nous n’avons pu que constater la nature faussaire et médiocre de l’œuvre.

 

Un CV long comme le bras

Marguerite Stern s’est d’abord faite connaître pour son engagement au sein des Femen, puis pour la co-fondation d’un collectif de collages contre les féminicides en février 2019. Médiatisée à cette période, elle présentera ses fameuses lettres noires sur feuilles blanches comme étant sa création inédite et exclusive. Une appropriation controversée, puisqu’il s’avère que bien d’autres militant·e·s usaient de ce procédé : du squat féministe « le Transfo » à Bagnolet en 2013 à « Insomnia » en 2016 sur Paris, la pratique était parfaitement courante et documentée.

Elle quittera le collectif des colleur·euse·s l’année suivante, suite à des propos jugés transphobes qui annonçaient le début de son acharnement contre cette communauté. Signatures de tribunes anti-trans, soutien de l’écrivaine J.K. Rowling après ses propos transphobes, publications et collages de slogans transphobes (tels que « les femmes n’ont pas de pénis » ou « une femme est une femelle humaine adulte ») en sont quelques exemples. L’année 2020 cristallisera son engagement, presque exclusivement consacré à la lutte contre les droits des personnes transgenres.

Dora Moutot, ancienne rédactrice chez Libération, Vice ou encore Konbini, a pour sa part gagné en notoriété à travers son compte Instagram « T’as joui ? » créé en août 2018 ; sur ce dernier, elle traitera notamment de sexualité féminine et des rapports affectifs et sexuels au sein des relations hétérosexuelles. Elle prendra aussi fermement position contre l’inclusion des personnes transgenre dans son discours, refusant catégoriquement d’utiliser les termes « personne à vulve/pénis » ou encore « personnes menstruées » qu’elle juge invisibilisants pour les femmes.

Ces positions l’amèneront à un rapprochement avec Marguerite Stern, avec qui elle commencera à militer activement. Elles lancent ainsi en 2023 « les femellistes », qu’elles définissent comme « […] un mouvement qui se bat pour maintenir les droits sexués des femmes. Un mouvement des femmes originelles et originales […] c’est faire sécession avec un féminisme qui à été totalement dévoyé ». Un ancrage qui s’accompagne logiquement des cercles d’extrême-droite, dont elles reçoivent un soutien majeur (Némésis, Cocarde Étudiante, Rassemblement National, Reconquête…).

Tenant compte de ce passif, la controverse autour de « Transmania » était donc immanquable. Si bien que des associations LGBTQIAAP+ et antiracistes ont largement réagi, entre suppression des publicités présentes dans les villes de Paris et Lyon et retrait de ce livre des librairies, en passant par le dépôt de procédure pénales. À Besançon, il apparait que seule la libraire « l’Intranquille » proposait le texte litigieux, avant de le faire disparaitre de ses rayons début mai au plus fort des mobilisations initiées par les personnes transgenres pour leurs droits.

Sur le contenu, un retour des vieilles recettes transphobes

Sur le livre en lui-même, la trame n’est en rien novatrice. Les autrices nous racontent l’histoire de Catherine alias Robert, une femme trans fictive qui explore son identité de genre. Comme Dora Moutot l’a fait sur le plateau de « Quelle Époque ! » le 15 octobre 2022 à propos de Marie Cau qualifiée « d’homme transféminin », son personnage est quasi-systématiquement genré au masculin. Une approche en rien anodine, cherchant à déconsidérer les personnes transgenres dans leur volonté d’être pleinement reconnues et admises selon le genre auquel iels s’identifient.

Une entrée en matière qui préfigure la vision des deux idéologues. Elles cherchent à présenter Catherine comme l’archétype supposé de ce que serait une femme trans, au travers d’un parcours fantasmagorique où les poncifs grossiers et affabulatoires se multiplient : « Robert l’autogynéphile a une addiction au porno #sissy », « Robert se masturbe dans les vestiaires de chez Zara », « embrigader les jeunes femmes », « toucher aux enfants » ou encore « qui finance le développement du transgenrisme à l’Internationale ? » forment ainsi les seuls titres des chapitres.

Dans le détail, Catherine/Robert est exposée comme un homme, intrinsèquement très actif sexuellement, obsédé par la féminité et par la sienne propre, n’hésitant pas à l’utiliser comme un outil de prédation à l’égard des femmes et des enfants. « Désormais, ils n’ont plus besoin de se cacher dans un buisson en attendant l’heure de la sortie de l’école. Il leur suffit de se rendre à la gay pride. […] Ils pourront montrer leur quéquette à des mineurs, sous l’œil complice des parents » est-il notamment écrit, afin de dépeindre les personnes trans.

Derrière une personne trans, sommeillent déviances sexuelles, violences incontrôlées, agressions contre les plus fragiles, dont vos proches pourraient être les prochaines victimes. Par ces illustrations puisées dans l’imaginaire propagandiste ancestral, les deux autrices essaient de provoquer un rejet viscéral. Bien d’autres extraits, dont on épargnera la découverte, enchainent les tournures graveleuses, dégradantes et irréalistes, teintées d’homophobie et de machisme. Le reste du récit s’attarde sur une véritable théorie du complot, sans guère plus d’acuité.

Études interprétées et informations infondées se mêlent enfin au conspirationnisme le plus déroutant, impacts des perturbateurs endocriniens, politique de stérilisation de masse pour réduire la population et remplacer les « vraies » femmes et autres programmes des lobbies pharmaceutiques et transhumanistes achevant le panorama. À force d’acharnement contre la communauté trans et de victimisation lorsque leurs discours de haine sont dénoncés, les autrices ont développé une obsession pour l’image de la femme transgenre masculine et sexuellement soumise.

Dans de multiples interviews et posts, elles se focalisent beaucoup sur la génitalité et la vie sexuelle des personnes transgenres. On s’interroge : les personnes transgenres sont-elle vraiment obsédées et déviantes, ou Stern et Moutot ont-elles développé une obsession autour d’une communauté dont elles ne savent rien, si ce n’est des restitutions fantasmées ? « Ce livre ne constitue en aucun cas une attaque envers les personnes trans » plaidaient-elles en gage de bonne foi et d’honnêteté intellectuelle. C’est tout à fait crédible, on pourra se coucher serein·e·s !

Dessin et rédaction par Chav.