Le 10 juin dernier à Besançon, une manifestation antifasciste spontanée a rassemblé entre 1 000 et 1 500 personnes. Déterminé à dénoncer l’ascension de l’extrême-droite au pouvoir, le cortège s’est soldé par quelques heurts près de la Préfecture. Cinq interpellations ont été relevées, dont une pour des « dégradations » recouvrant deux graffitis. Interpelée et placée en garde-à-vue pour ces faits, cette jeune participante témoigne auprès du Ch’ni. Elle souhaite dénoncer les conditions de détention et le comportement des policiers, mais aussi appeler à ne pas céder à la peur provoquée par la vague de répression naissante.
J’ai rejoint la manifestation en sortant du travail, sans avoir préparé ou anticipé quoi que ce soit. Le rassemblement spontané s’est transformé en cortège, au cours duquel j’ai réalisé deux graffitis : « free Gaza » sur le KFC, « ACAB » à un abribus de Granvelle. Le soir après la dispersion je suis rentrée chez moi avec un proche, nous nous trouvions quartier Viotte et tout était terminé depuis longtemps. Mais plusieurs véhicules sont arrivés, dont une moto qui m’a foncé dessus ; à son bord une femme, qui m’a crié « bouge pas, bouge pas. » Ne voulant pas me faire percutée, j’ai reculé d’un pas. Les agent-e-s nous ont encerclé, s’exclamant « la tagueuse, on a la tagueuse ! »
Après un contrôle d’identité et une palpation, ma bombe de peinture et un couteau suisse que je gardais dans mon sac sont saisis. Mon ami est laissé libre, mais pour la première fois de ma vie je suis embarquée. Durant toute l’interpellation et au commissariat, les uniformes se sont offusqué-e-s quant à l’inscription du cigle « ACAB ». Par ailleurs les propos misogynes et insultants sur d’autres manifestant-e-s pleuvaient, la plupart disant par exemple que ma voix était « plus agréable que l’autre con » ou parlant des « copines » de certains en ajoutant « on est pas jaloux ». Durant cet épisode, je me suis contentée de répondre au minimum et le plus calmement possible.
Au poste, les débats divers et variés se sont enchainés. Un flic m’a notamment sorti qu’il « a voté pour le parti animaliste » car il aime bien les bêtes, un autre m’assène qu’après tout « Jordan Bardella est le choix des français. » « Ici ce n’est pas la Gestapo », ajoute t-on pour me rassurer à propos du commissariat de la Gare-d’Eau ; cela quelques minutes avant qu’une procédure tierce soit mentionnée, où sur le ton de la « blague » il m’est balancé « normalement, on vous fait ça avant de vous violer ! » Au niveau des conditions de détention, c’était également terrible : cellule sale imbibée d’urine et de sang, froid mordant, détenu-e-s qui hurlent, mépris des geôliers…
Pour aller aux toilettes il faut demander plusieurs fois, en espérant qu’on ne vous « oublie » pas ; quand j’obtenais enfin ce « droit », on parlait de moi en ces termes : « ACAB elle veut pisser ; ah, ACAB veut faire pipi ? allé ACAB, vas-y zou ! » Une attitude rabaissante et déshumanisante qui ne m’était pas exclusive, ayant entendu la réponse faite à un co-détenu : « t’es une femme ou quoi, je ne vais pas t’emmener toutes les deux minutes !? » Au final je n’ai pu disposer des sanitaires que trois fois entre 21h30 et 13h00, j’avais mal aux reins tellement je devais me retenir. Au surplus, il faut compter sur l’absence de papier et une porte qui ne ferme pas complètement.
En parallèle sur l’alimentation, je n’ai pu bénéficier que de deux verres d’eaux et de deux gâteaux au petit déjeuner. J’étais en hypoglycémie, parfois je voyais des tourbillons multicolores. Lors de la fouille j’ai été examinée avec zèle, même après qu’il ait été établi que je n’avais aucun effet personnel une policière n’a pas hésité à me retoucher les parties intimes sans me prévenir ou me demander. On m’a également fait retiré mes piercings y compris les plus sensibles au visages, là encore sous des commentaires du genre « bah mes piercings au tétons je les enlève des fois moi [rire] ». Mes lunettes ne m’ont pas été davantage permises, sauf pour relire mes dépositions.
J’ai été emmenée devant l’OPJ vers 03h00, toujours chosifiée sous le surnom « ACAB. » Il m’a fallu veiller à ce que mes déclarations soient bien retranscrites, une bonne part ayant été dénaturées. Mais mon cas n’était visiblement pas très intéressant, ielles ont voulu vite en finir. Les attitudes et remarques méprisantes persistaient toutefois, comme lors de ma prise d’empreinte, ou, par la suite, s’adressant à des détenus, dont un d’origine algérienne, il leur a été dit « nous on est civilisés », « on est au zoo ici », « moi je parle que le français ». On m’a enfin affirmé que j’étais maintenant fichée, que je risquerais gros car la manif’ n’était pas déclarée, que je ne pourrais plus manifester.