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Mélissa Maitre, interne en médecine à Besançon, a réalisé sous la direction de Cécile Lambert-Briquez, médecin généraliste spécialisée en gynécologie, la thèse « Vécu et issue des grossesses intra-utérines chez les femmes porteuses d’un dispositif intra-utérin au cuivre » soutenue en avril dernier, qui remet en question le regard que nous portons sur ce mode de contraception de plus en plus utilisé. La thèse est en lice pour une présentation au prochain congrès de médecine générale à Paris en mars 2025.
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Des données théoriques obsolètes

En raison d’une réticence croissante vis-à-vis des hormones, le DIU (dispositif intra-utérin) ou stérilet au cuivre gagne en popularité. Les données dont on dispose pour décrire son efficacité sont attrayantes : l’indice de Pearl, à savoir le pourcentage de grossesses « accidentelles » sur un an d’utilisation optimale de la méthode, est bas : 0.6 en théorie, et 0.8 en pratique (à titre comparatif, l’indice de Pearl est de 0.3 en théorie pour la pilule et huit en pratique [1]). Sauf que les études dont sont tirées ces données ont été réalisées dans les années 1980, alors que l’on ne pouvait pas mettre de stérilet sur les femmes qui n’avaient pas eu d’enfant, très fertiles. Aujourd’hui, à mesure que les jeunes personnes adoptent ce dispositif, le décalage entre la théorie et la réalité s’accentue. C’est le point de départ de la thèse : « en pratiquant l’avortement, en faisant cent IVG par an à peu près, j’ai dix IVG pour grossesse sur stérilet », explique Cécile Lambert-Briquez.

Entre cette observation et l’indice de Pearl officiel du stérilet, il y a une dissonance évidente. L’objectif premier était de réaliser une thèse quantitative, passant par le recueil des données statistiques concernant les grossesses non-désirées. Cependant, aucun recensement n’est effectué à ce sujet dans les hôpitaux. Le travail a donc bifurqué sur une étude qualitative, visant à saisir le vécu et le ressenti lors d’une grossesse sur stérilet. Pour cela des entretiens semi-dirigés ont été menés avec 12 femmes âgées de 25 à 39 ans ayant vécu une grossesse sur stérilet. Cécile Lambert-Briquez rappelle l’importance de la mise en place d’un recensement des causes de grossesse non désirée, pour lequel des moyens doivent être mobilisés : « le personnel tourne, les femmes arrivent via les urgences, les services, les consultations, donc s’il n’y a pas de cotation spéciale ou de poste dédié, c’est compliqué de recenser ».

En finir avec le mythe du bouclier magique

Comme le précisent Mélissa Maitre et Cécile Lambert-Briquez, il ne s’agit pas de diaboliser le stérilet mais de poser dessus un regard réaliste : « il faut juste que les patientes soient au courant du risque pris, qu’elles sachent que la grossesse peut arriver ». Risque sur lequel les professionnel·le·s de santé n’insistent pas assez, voire pas du tout : « pour les femmes à qui on pose un stérilet, on ne leur dit pas forcément qu’il y a un risque de grossesse, même si c’est infime ». Résultat : dans l’imaginaire collectif, le stérilet est à l’image d’un « bouclier magique » qui protègerait de la grossesse de manière infaillible. La découverte d’une grossesse sur stérilet peut ainsi générer un effet de surprise, voire un état choc, comme en témoignent les résultats de la thèse. Ces travaux montrent qu’une information plus soutenue est souhaitable au sujet du stérilet en lui-même, mais aussi des possibles conséquences d’une poursuite de grossesse sur stérilet.

Il s’agirait de sensibiliser au moment de la pose, mais aussi de former davantage les sages-femmes et les généralistes sur la question. Les patient·e·s pourraient ainsi faire un choix éclairé et être éventuellement amené·e·s à compléter ce mode de contraception : « On peut l’associer à la symptothermie [observation de la température et de la glaire cervicale pour identifier les périodes de fertilité] ou au préservatif si on veut vraiment être hyper efficace ». La grossesse sur stérilet est quelque chose dont on entend peu parler, ce qui contribue à invisibiliser le phénomène. En revanche, comme nous le confie Mélissa Maitre, il suffit de se saisir du sujet pour réaliser que c’est plus répandu qu’on ne le croit : « Ce qui ressort des entretiens, c’est que beaucoup avaient quelqu’un dans leur entourage à qui c’était arrivé ». Elle-même en a également fait l’expérience : « Une fois la thèse publiée, je me suis rendue compte qu’il y avait plein d’autres gens que j’aurais pu interroger ».

L’accès aux soins et à l’IVG

Lorsqu’on porte un stérilet, le suivi médical est essentiel, mais encore faut-il pouvoir l’assurer. Le principal facteur d’inégalités est la géographie : « À Besançon, on est très privilégié. C’est différent pour d’autres villes comme Montbéliard ou Montceau-les-Mines, où il y a peu de médecins ». La thèse mentionne l’intégration de plus en plus systématique de la gynécologie à la pratique de la médecine générale : « Toutes les jeunes femmes généralistes aujourd’hui font de la gynéco. Pour les hommes, ça dépend ». C’est le cas de Mélissa Maitre qui a pour projet d’ouvrir un cabinet où elle pratiquera les deux disciplines, entre lesquelles elle souhaite également partager son stage de fin d’études.

De même, les disparités pour l’accès à l’IVG sont avant tout d’ordre géographique : « Ici à Besançon, moi j’ai cinq créneaux d’urgence par jour donc la patiente qui se rend compte qu’elle est enceinte peut prendre un rendez-vous et on peut gérer ça sur 24-48h ». Il est exceptionnel d’être en mesure de proposer des délais aussi courts : Besançon centralise beaucoup d’IVG, et pas seulement à l’échelle de la région : « Beaucoup de femmes du nord de la Bourgogne et du Jura, mais aussi de Paris et de Rome, viennent à Besançon pour avorter ». Sur le site ivglesadresses.org, six médecins pratiquant l’avortement sont recensés dans un rayon de quinze kilomètres autour de la ville, en plus du CHRU Jean Minjoz.

L’IVG quand on est trans

Si l’article trente-quatre de la Constitution mentionne la « liberté garantie à la femme » de recourir à une IVG, il a été précisé par le conseil d’État que cette liberté doit s’entendre comme étant garantie à « toute personne ayant débuté une grossesse, sans considération tenant à l’état civil ». Le monde médical reste néanmoins un endroit de vulnérabilité pour les personnes trans. Mélissa Maitre et Cécile Lambert-Briquez mettent en avant le référencement des praticien·ne·s via les réseaux LGBTQIA+ friendly et les associations comme Transcende, qui organisent des formations et distribuent des écussons à apposer sur les portes et les bureaux.

« Nous les soignant·e·s, on s’en fout, on veut juste soigner le patient ou la patiente. Pour l’avortement, il y a un utérus, il y a une grossesse, on avorte. Point. On doit regretter les situations de discrimination ». Aussi pour Cécile Lambert-Briquez, l’inscription de l’avortement dans la Constitution ne sécurise rien : « Ça donnait un grand coup médiatique à l’avortement qui devenait presque cool alors que ça fait des années qu’on le faisait… Pas cachées, mais presque ». La praticienne ne masque pas son inquiétude face à des changements politiques qui pourraient impacter très vite l’accès à l’IVG : « Un gouvernement anti-IVG peut tout changer, interrompre la distribution [des pilules abortives]. Demain on nous dit qu’on ne peut plus faire, on ne peut plus commander, et c’est fini ».

Des contraceptions en progrès

Plutôt que de culpabiliser lors d’une grossesse non désirée, ne devrions-nous pas remettre en question la qualité de nos contraceptions ? De ce côté, on avance, y compris sur le partage de la charge contraceptive : contraceptions orales, injectables, vasectomie réversible, ces méthodes destinées aux personnes dotées d’un pénis sont à l’étude. L’expérimentation en est à la phase deux, sur trois phases au total : « d’ici dix ans ça va arriver ». L’usage du slip contraceptif se répand également : « j’ai des patients qui l’ont, ça à l’air de leur convenir mais il faut vraiment faire les spermogrammes. Et il faut faire confiance à son partenaire ».

Concernant la contraception définitive, les avis sont mitigés. Actuellement, le processus est uniquement géré par la chirurgienne ou le chirurgien qui opère et une telle opération a de quoi faire hésiter, du côté de la patientèle : « il y a beaucoup de demandes mais pas tant de femmes qui vont jusqu’au bout, à la fin » comme de celui des praticien·ne·s : « il faut se mettre à la place des chirurgiens, on provoque quelque chose de définitif chez une patiente qui est en pleine forme, avec un risque d’opération ». Sur Besançon très peu de praticien·ne·s sont favorables à la ligature des trompes utérines pour les personnes de moins de trente ans ; au-delà de cet âge, accéder à cette opération est plus facile.

Portrait d’une praticienne engagée

Il y a dix ans, après des études de médecine centrées sur la santé de la femme, Cécile Lambert-Briquez ouvre son cabinet. Elle y pratique d’abord la médecine générale et la gynécologie, puis uniquement la gynécologie par intérêt pour la discipline mais aussi pour répondre aux besoins des patient·e·s. L’accessibilité y est centrale : « La moitié de mes créneaux sont réservés pour les urgences ». Un accès rapide à l’IVG, c’est aussi moins de souffrance psychique. Ce mode de fonctionnement, précieux et sécurisant pour les patient·e·s, nécessite que tout le monde joue le jeu. Depuis quelque temps, la praticienne rencontre des difficultés à ce niveau et envisage malheureusement de revoir son organisation.

« L’urgence pour la patiente des fois ça peut être je veux ma pilule. Avant il n’y avait pas d’abus mais là, depuis un mois, c’est n’importe quoi ». Quand on entre dans le cabinet, on se retrouve face à un mur de bandes dessinées abordant des thématiques autour des droits et de la santé des femmes. Il s’agit d’un outil de travail : « À travers ces BD, on peut garder une continuité une fois que la consultation s’arrête ». Pour la praticienne le lien entre médecine et art est évident : « Il faut des écrivain·e·s engagé·e·s, des artistes engagé·e·s ». À ce titre, elle prévoit de lancer sa propre page Instagram doc.santé.femmes : « l’idée c’est de répondre aux questions que les patientes ne posent pas, par des petits dessins ».

 

[1] Note :  Ameli.fr, « L’efficacité des moyens contraceptifs » [En ligne]. Disponible sur : https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/contraception/efficacite-moyens-contraceptifs

Illustration d’en-tête : Mélissa Maitre (gauche) et Cécile Lambert-Briquez (droite)