2024 08 12 Illustration Comtoiserie Rs

La confusion entre les langues régionales et le français régional de Franche-Comté commence très tôt, au moins dès 1753 avec le premier Essay d’un dictionnaire comtois-françois par Marie-Marguerite Brun née Maison-Forte. Si le dictionnaire présente bien de véritables mots de la langue franc-comtoise, beaucoup sont des mots français propres à la Comté, voir parfois similaires à d’autres régions. Mais parce qu’ils ne répondent pas à un parler soutenu et académique, ils sont classés comme appartenant au franc-comtois ; erreur !

Le XIXe siècle est lui plus précis avec l’édition de véritables glossaires dit de patois comme ceux des Fourgs, de Montbéliard, de Châtenois, mais les auteurs alertent déjà sur une diminution de l’usage de ce que l’on nommera plus tard langues régionales, locales, vernaculaires, parfois minoritaires selon la législation. Puis vient le XXe siècle avec une confusion qui ne cessera jamais de grandir. Les langues régionales sont de moins en moins parlées et comprises et pour la majorité de la population franc-comtoise, ne restent bientôt que quelques mots familiers entendus de la bouche de leur grand-mère ou de leur oncle. De ce fait, la moindre phrase intégrant un mot différent du français standard, une élision, un accent prononcé, sera considérée comme du « patois »… alors que non, c’est bien du français. Même erreur qu’au XVIIIème siècle !

La Madeleine Proust, Morteau Morille et les stars actuelles des réseaux sociaux comme Pierre-Hugues José, FlouzFlouz la Fripouille, La Petite de Franche-Comté, Louca le Franc-Comtois ;  d’aucun de ces personnages malgré tout leur talent et leur influence ne sait parler le franc-comtois et encore moins l’arpitan. Cependant, ils parlent tous le français régional et en usent et s’en amusent. Cela fait rire tout le monde et c’est très bien, la joie est primordiale, mais la confusion emmène à la déformation de l’information. C’est ainsi que sur TikTok, L’Est Républicain a réalisé le 21 juillet 2024 une vidéo intitulée Quand @theloucashow nous donne un cour de franc-comtois, mais au final, la petite leçon ne comporte qu’un mot issu de la langue franc-comtois, le reste étant des mots en usage dans plusieurs régions françaises et pays francophones ainsi que de l’argot… on a vu mieux comme cours ! Ainsi faut-il considérer qu’il existe un français de Franche-Comté comme il existe un français du Québec.

De cette confusion est né aussi des livres. Le Trésor des Parlers Comtois de Jean-Paul Colin et des Comtophiles dont la première édition est sortie en 1993 était déjà un fourre-tout du français régional avant que le clou ne soit enfoncé en 2015 par Moi j’parle le comtois… pas toi ?. Un titre trompeur qui devrait en fait être « Moi j’parle le parler comtois » et se limiter à celui-ci et surtout ne pas tenter le jeu de mot « pas toi/patois » car il se révèle être une véritable fraude. Pour preuve avec cette interview de l’autrice Sophie Garnier à France Bleu Belfort-Montbéliard le 8 janvier 2020 où le journaliste croyant être en contact avec une vraie comtophone demande comment « bonne année » se prononce en franc-comtois. Réponse de l’autrice ? Il n’y a pas vraiment de « bonne année ». Ce que nous proposons, nous, à notre association La Braillotte, ce ne sont pas des mots comtois, enfin, du patois on va dire plutôt. Mais plutôt des mots usuels qu’on a entendu quand l’on était peut-être plus jeune. Ça relève quand même du parler on va dire entre guillemets un peu français. On ne va pas donc avoir un mot particulier pour dire « bonne année ».

Voilà donc en plein direct la supercherie révélée. Déjà parce que le parler comtois n’est pas un peu français, il est français, et enfin on se demande pourquoi faire référence au patois si l’autrice elle-même avoue que son ouvrage n’est pas de ce registre ? À part tromper la personne qui achètera le livre et semer davantage la confusion dans son esprit, cela n’a aucun sens. Quant à l’expression « bonne année », sachez quand même qu’elle se dit « boènne onnaie » en franc-comtois, le vrai, la langue !

Et pour dévoiler davantage cette supercherie, voilà un exemple à partir d’une phrase en français régional tirée d’un des calendriers de la même autrice :
Y est tombé 25 cm c’te nuit au Sauget ! Dis, les ch’mins étaient pas fait c’matin qu’y a fallu que j’pelle pour sortir !

Voilà maintenant la phrase dans la seule langue franc-comtoise et là tout change :
Èl ât tchoé 25 cm ç’te neût â Sâdget ! Dis, les tchemïns étïnt poué décombrès ci maitïn qu’é y è faiyu qu’i épâle po soûetchi !


Mais pendant que s’arrachent livres, maillots et autres produits dérivés en français régional et que les commentaires à son sujet se multiplient sur les réseaux sociaux, les langues régionales, elles, disparaissent. La situation est d’autant plus triste que depuis les premiers spectacles de la Madeleine Proust dans les années 80, ce qui a été servi du parler comtois fut du vu, du revu et du réchauffé. L’autodérision est une qualité et se moquer de lui-même, le peuple franc-comtois sait parfaitement le faire et c’est très bien ! Mais à user toujours des mêmes ficelles on en oublie d’utiliser les autres, dont celles des langues régionales et de leur univers fait de signalisation bilingue, de musique, de littérature, de théâtre. La Franche-Comté ne profite pas de toutes ses richesses, assurément.

Un article édité par un membre de l’Union des Patoisants de Belfort-Montbéliard dans le bulletin associatif n°39 de 2022 soulignait pourtant l’intérêt du français régional comme base de l’apprentissage des langues régionales, dont le franc-comtois, car ce dernier influence depuis longtemps le premier avec ses daubot, beuillot, ch’ni, viausse, murie, beugne. Mais la réalité est bien différente. Malgré un français régional à la mode notamment sur les réseaux sociaux, rares sont les personnes à franchir le pas de l’apprentissage du franc-comtois et de l’arpitan. Informer, expliquer et accompagner toutes les personnes volontaires vers ce fameux apprentissage, voilà l’objectif pour que demain, le peuple franc-comtois puisse de nouveau se moquer de lui-même dans ses trois langues. Moi, I djâse lou comtou ! Poué toi ?

Illustration d’en-tête : de gauche à droite, capture d’écran des réseaux sociaux de La Petite de Franche-Comté, FlouzFlouz la Fripouille, Louca le Franc-Comtois, Pierre-Hugues José, Morteau Morille.

À lire aussi