Depuis plusieurs mois, le Jura semble être devenu le terrain de jeu de l’extrême-droite. Graffitis promouvant les thèses catholiques et nationales, dégradations des locaux communistes et socialistes avec croix celtiques et chrétiennes, intimidations et menaces ciblant les militant·e·s de gauche… Cachés sous les atours d’une bannière néo-templière, les chevaliers blancs à l’initiative de cette campagne se comptent en réalité sur les doigts d’une main. Le principal fer de lance étant même encore mineur, issu d’une famille établie et prospère. Mais alors que les actes et plaintes se multiplient, police, justice et médias apparaissent bien silencieux.
« Dole c’est petit, faut faire attention »
Début 2024, émerge un fil « Telegram », nommé « Templar Dole », dédié à la passion du Christ et du roman national. Mais aux prières, relais d’actualités comme le C9M et actions banderoles en petit comité, exhibition d’une machette, entraînements au combat, incendies d’affiches « La France Insoumise » (LFI) ou graffitis bibliques vont vite être privilégiés. On retrouve aussi la cohorte le 22 février 2024 à l’UFR-SLHS Mégevand de Besançon, dans une opération avec le canal « RIF Doubs » consistant à se photographier devant « une fac antifasciste » drapeau templier en main. L’étendard, très singulier, était déjà apparu, à travers les soirées du groupe ou l’avatar de son fondateur.
L’agitation attire l’œil d’Alexis Poyard, étudiant et référent « Jeunes Insoumis·e·s » (JI) qui capture la scène avec son téléphone portable. « En sortant de cours, j’ai aperçu trois gamins qui se cachaient dans un angle extérieur avec des bannières un peu bizarres. Ils sont venus à ma rencontre, l’un me demandant si j’étais de gauche et si je voulais faire un “un contre un” ; devant mon refus répété il m’a lancé “fais bien attention à toi”, avant que tous ne partent ». L’incident est revendiqué le soir-même par le « RIF Doubs », indiquant qu’un « nouveau groupe » avait été créé et relatant la charge menée par son « leader ». Un premier fait d’armes, qui va introduire une attitude constante.
Le 25 avril sur Facebook, l’administrateur de « Templar Dole » engage ainsi des messages privés à l’encontre d’acteurs participant aux mouvements sociaux. « Samedi on sera vers la manif Palestine […] j’accepte tout 1v1 […] Dole c’est petit, faut faire attention » écrit t-il à un interlocuteur. Le groupe persiste le 20 mai, exposant avoir « patrouillé » afin de traquer les opposant·e·s aux identitaires de « Némésis » ; vidéo à l’appui, on y découvre le communiste Jean-Christophe Delbende, qui s’était élevé pour stopper la diffusion de propagande haineuse une heure plus tôt, être pris à partie. Un seul protagoniste était en réalité à la manœuvre, lequel a fait l’objet d’une plainte.
Le siège du PCF pris pour cible
Cette haine de la faucille et du marteau était en réalité déjà latente, « Templar Dole » n’ayant pas hésité à s’attribuer des actes de vandalisme en ce sens. Appuyé par une archive inédite et un extrait de journal, celui-ci s’esclaffait sur « Telegram » : « Dans la nuit du 1er mai, des membres du groupe sont partis vandaliser le parti communiste de Dole ». Si ces dégradations se limiteront à des jets de peinture noire, un signe plus clair se détachait toutefois : Une croix, dessinée sur l’une des vitrines. Un modus operandi qui se répétera curieusement dans la nuit du 29 au 30 juin suivant à Lons-le-Saunier, le siège du « Parti Socialiste » ayant été à son tour recouvert de croix celtiques et chrétiennes.
Un marquage du territoire qui s’accompagne d’une vague intense de propagande plus classique… « Jésus est Dieu – Jean 14.6 », « délinquants étrangers dehors », « justice pour Matisse », « Jésus Christ Roi », « Jésus t’aime repens-toi », « Free Armenia », croix chrétiennes, chrismes, clés de Saint-Pierre, croix celtiques, ou encore croissants musulmans barrés, en sont quelques exemples, réalisés à la bombe, de mi-février 2024 à hier. Une quête effrénée de visibilité, qui peine à masquer une nette déficience numérique. Récemment rebaptisée « Jeunesse Chrétienne Révolutionnaire » (JCR), la formation ne compte tout au plus qu’une poignée de partisans répartis entre Dole et Lons-le-Saunier.
Ce qui détermine d’autant plus ses effectifs aux coups d’éclats grandiloquents, adjoints des sempiternelles mises en scène destinées aux réseaux sociaux. Comme le 15 juin dernier à l’occasion d’un rassemblement électoral du « Nouveau Front Populaire » (NFP) à Dole, où la bande se pavanait fièrement : « Des camarades ont brandi un drapeau français lors des émeutes du front rouge cet après-midi. Ils ont été interpellés par les policiers et traités de “fachos” ». Une indication attestant que les services compétents pourraient donc parfaitement suivre ces individus depuis de longues semaines, leur laissant aussi l’opportunité de remonter l’organisation, ses têtes et ses actes. Mais, est-ce le cas ?
Les autorités se terrent dans le silence
Le peu d’écho de fond suscité autour de ces dossiers est pointé du doigt, beaucoup se questionnant sur le rôle des institutions et leur volonté de traiter les exactions mettant en cause l’extrême-droite. Certain·e·s se rappelant ainsi les tenants et aboutissants de l’affaire « Némésis » par exemple, lorsqu’un uniforme n’avait pas hésité à se répandre anonymement ; quitte à se substituer au parquet, en pronostiquant d’emblée que les poursuites intentées par la municipalité de Dole contre les perturbatrices seraient sans doute vaines. Politiques et médias ne sont pas en reste, l’abondance des atteintes documentées en quelques mois n’ayant provoqué aucune réaction palpable.
« En juillet et août 2022, c’était une mobilisation générale autour de six ou sept pochoirs dans le centre-ville par quelqu’un de passage. Tout le commissariat était sur le pont et une identification avait été réalisée en à peine dix jours, avec un relais du Progrès qui en faisait ses choux gras. Deux ans plus tard, face à des dizaines de symboles néofascistes et catholiques, rien du tout. Pourquoi ? » s’emporte un interlocuteur. « Nos locaux ont été vandalisés il y a maintenant plus de trois mois, à notre connaissance l’enquête est au point mort. C’est donc la presse indépendante qui va peut-être enfin faire bouger les choses, voilà où on en est » se désole-t-on également du côté du « Parti Communiste Français » (PCF).
Sollicitée par nos soins, la « Direction Départementale de la Police Nationale » du Jura (DDPN) ne nous donnera jamais signe de vie. Habituellement prolixe s’agissant de journalistes maison, ce silence persistant ajoute à l’inertie ambiante. « Pour justifier leur manque d’entrain, comme d’hab’ les flics se cacheront probablement derrière l’absence totale ou partielle de plaignant·e·s. Les choses auraient été évidemment différentes si c’était une permanence parlementaire ou le bien d’un notable, mais le palmarès de deux-trois crevettes, qui en plus s’en prennent à la gauche, ça n’intéresse pas grand monde ici » analyse un activiste antiraciste en veille sur la Bourgogne/Franche-Comté.
Derrière la mouvance, un fils de bonne famille
Dès sa mise en ligne à partir du 2 février 2024, la « toute première rencontre du groupe » était immortalisée et diffusée à travers la photographie de deux individus posant devant la collégiale Notre-Dame de Dole. Bien que (mal) floutés, on pouvait à cette date déjà aisément reconnaître un militant national-catholique du secteur. Lequel sera d’ailleurs présent le lendemain à Besançon, afin de rencontrer le milieu néonazi historique et faire adouber sa cellule naissante. Via un énième salon « Telegram », une réunion politique s’organisait ainsi en début d’après-midi au bar « le Shake Pint », autour de différentes figures connues telles que Arthur F., Florent G., ou encore Tristan D.
Le tapissage effectué auprès d’Alexis Poyard se révélera catégorique, de même que les recoupements autour des différents comptes « Facebook », « Twitter/X » et « Telegram » tracés. Une identification unanime et formelle, désignant un nom : N. G., tout juste dix-sept ans et originaire du Jura. Radicalisé en seulement quelques mois, le jeune homme n’est est pas moins pleinement intégré au sein de la bonne société. Sportif accompli ayant décroché son baccalauréat, il est issu d’une famille aimante et établie. Ses parents sont en effets responsables d’un réseau immobilier florissant entre Dole et Besançon, naviguant dans les cercles « select’ » comme la « table ronde ».
Au-delà des faits, la découverte de ce profil « petit-bourgeois » étonne et scandalise la plupart de nos sources. « Ce n’est pas une excuse car les délits restent quand même assez graves, mais on peut parfois prendre du recul y compris en tant que victime quand il s’agit de personnes paumées, sous influence, passées par de sales moments. Mais dans cette histoire, on se retrouve au contraire avec un privilégié qui dispose visiblement de toutes les facilités intellectuelles, culturelles, relationnelles, financières et matérielles. Il faudrait sonder son parcours, pour tenter de comprendre. En attendant, on se demande ce que font les pouvoirs publics pour mettre un terme à ce bordel » tranche-t-on encore.
Boîte noire
Contactés par courriers électroniques et textos dès la nuit du samedi 10 au dimanche 11 août, les parents et responsables légaux de N. G. n’ont donné aucune suite à nos multiples questions. Interrogée à la même date, l’issue sera identique pour la « Direction Départementale de la Police Nationale » du Jura (DDPN). Quant au principal intéressé, il a été joint via « Telegram » le mardi 13 août, laissant également notre requête lettre morte malgré un accusé de lecture ; dans les heures qui suivirent, son profil fut en revanche « nettoyé » des diverses publications qui pouvaient le relier au groupe désormais nommé « Jeunesse Chrétienne Révolutionnaire » (JCR).
Image d’illustration : « Templar Dole » en pleine séance photo., avec le fameux drapeau templier en main ; afin de cacher le visage des protagonistes, l’insigne nazi « totenkopf » a été utilisé – capture d’écran.