Dsc 0029

Ce 25 juillet 2024, la « Cour Européenne des droits de l’Homme » (CEDH) a rejeté la demande d’abrogation de la « loi prostitution » de 2016. Portée en décembre 2019, par plus de 260 travailleurs et travailleuses du sexe (TDS) et de nombreuses associations (dont « Médecins du Monde », le « planning familial », « Act-Up », ou encore le « Syndicat du travail sexuel »), cette requête avait pour objectif d’enfin supprimer cette loi qui n’aura eu en définitive que des effets négatifs sur le quotidien des TDS exerçant la prostitution (la loi ne s’appliquant pas aux autres formes de travail sexuel). La majorité des syndicats « traditionnels » applaudissent la décision de la CEDH, les TDS et leurs allié·e·s se sentent encore une fois méprisé·e·s.

Recontextualisons : En 2016 est votée la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le « système prostitutionnel » et à accompagner les personnes « prostituées », loi dite de pénalisation des clients. Avant la prostitution en France était légale, mais autre temps, autre hypocrisie, ce sont le racolage (y compris passif) et le proxénétisme qui sont donc interdits. Désormais le délit de racolage est abrogé, et ce sont les clients qui seront donc légalement « pénalisables » en cas de recours aux services d’un·e prostitué·e. Dans les faits cependant, bien des villes comme Toulouse, Lyon ou Paris, prennent des arrêtés municipaux et préfectoraux afin d’entraver l’exercice concret de la prostitution.

De manière plus ou moins assumée, la répression et l’application du délit de racolage persistent. Instinctivement, en la comparant au délit de racolage, la loi de pénalisation des clients semble charitable à l’égard des prostitué·e·s. Elle s’avère pourtant, sans surprise, responsable d’une très nette dégradation de nos conditions de travail. Nous ne reviendrons pas sur les arguments avancés pour justifier cette loi qui se prétend féministe et humaniste, ni sur le consensus entre la droite et la gauche à l’Assemblée Nationale pour la voter… Nous n’avons que faire de celleux qui théorisent sur nos vies. Et c’est justement des implications de cette loi sur la vie des TDS dont nous voulons parler.

Dsc 0044

Même si les abolitionnistes du travail du sexe trouveront toujours la possibilité d’instrumentaliser certain·e·s d’entre-nous, pour justifier leurs idées et leurs lois répressives… Nous n’avions cessé de le dénoncer et nous continuerons à l’affirmer, cette loi nous marginalise, nous stigmatise et nous précarise. Les clients étant moins nombreux, nous avons été contraint·e·s de baisser nos tarifs, de revoir nos façons de travailler, de reconsidérer nos conditions et nos critères de sélection des clients. Incitées en cela par certains autres clients qui, eux, ont parfaitement compris l’aspect inapplicable de la loi et qui usent et abusent de notre précarisation en négociant nos pratiques et nos tarifs.

Pour plus de tranquillité de nombreuxses TDS prostitué·e·s se sont éloigné·e·s des centres-villes, de plus en plus en périphérie, de plus en plus isolé·e·s. De plus en plus vulnérables, aussi. D’autres ont pris la décision de travailler et de recevoir à leurs domiciles, sans réelle envie de quitter la rue et là aussi, plus seul·e·s qu’avant, plus isolé·e·s. Penser que la pénalisation des clients à porté ses fruits en nous faisant disparaître est une erreur. À l’échelle locale, le collectif « Partage Droit Autonomie » (PDA), par et pour les TDS, note même une augmentation constante des personnes exerçant la prostitution. Plus isolé·e·s, plus exposé·e·s aux violences, mais invisibles ou presque ! Drôle de victoire pour les droits humains et pour le féminisme.

Huit ans après, le bilan de la loi est désastreux. Bouté·e·s hors des lieux fréquentés, les violences se répètent et sont toujours impunies. Il arrive que certains faits divers marquent les esprits, comme ce fut par exemple le cas pour Mihaela Miloiu, TDS de dix-neuf ans, assassinée dans la nuit du 29 au 30 novembre 2016 et dont le corps avait été retrouvé dans la forêt du Frasnois, ou encore pour Géraldine, TDS femme trans et péruvienne assassinée le 9 juillet 2024 et pour qui un rassemblement commémoratif avait été d’ailleurs été organisé le 20 juillet – par les collectifs « Intransigeance », « Fiertés Racisées » et PDA (respectivement portés par des personnes transgenres, racisées et TDS).

Mais pour une Mihaela et une Géraldine, combien d’autres TDS assassinées sans qu’elles ne rentrent jamais dans les chiffres des féminicides ? Au delà des assassinats, les violences potentielles sont multiples (humiliations, viols, agressions sexuelles, vols, braquages…) et n’aboutissent que rarement à des plaintes. Cette loi répressive a aussi cette vertu d’éloigner celles qu’elles prétend vouloir protéger des structures susceptibles de les aider : si l’on sait pourquoi les TDS craignent toustes de déposer plainte au commissariat, il est à noter que beaucoup d’entre-nous nous méfions également des structures de santé, craignant le jugement, une discours moralisateur ou toutes les humiliations permises par un système qui nous considère comme des victimes, qui nous infantilise ou nous méprise…

Dsc 0035

À l’échelle de Besançon, pourtant, certaines structures comme « Aides » ou le « CEGIDD » (Centres gratuits d’Information, de Dépistage et de Diagnostic) accueillent de manière très satisfaisante les TDS. Localement le CEGIDD avait même par exemple bénéficié d’une formation sur le TDS et la transidentité, financé par « l’Agence Régionale de Santé » (ARS) et animée par des personnes TDS et transgenres. Cependant la vigilance des TDS persiste. Et l’absence de soins et de dépistages ont un impact évident sur la santé physique et morale des prostitué·e·s, a fortiori lorsqu’il s’agit des personnes déjà plus vulnérables comme par exemple les travailleuses étrangères avec ou sans-papiers, les femmes trans, les personnes handicapées ou isolées, racisées, âgées ou très jeunes, séropositives…

Dans la capitale comtoise comme dans de nombreuses autres communes, les TDS sont contraint·e·s de s’organiser seul·e·s, ou presque, pour faire entendre leurs voix, pour s’entraider, se soutenir, s’accompagner dans les démarches compliquées du quotidien et se défendre des violences… La pénalisation des clients a dégradé nos conditions de travail, et nous sommes systématiquement confronté·e·s à des arguments faussement féministes qui prétendent mieux que nous savoir comment mener nos vies, des gardien·ne·s de la morale, des syndicats qui refusent même de nous considérer comme des travailleurs et des travailleuses (quelle ironie lorsque tant d’entre-nous ont une activité déclarée et payent « l’URSAAF »).

Nous avons vu passer récemment le « Communiqué unitaire suite à la décision de la CEDH sur l’interdiction d’achat d’actes sexuels ». Ce dernier avait été signé notamment par « SUD/Solidaires », la « CGT », la « CFDT », le « collectif droit des femmes », ou encore la « FSU ». Iels se « félicitent » que la CEDH ait rejeté notre requête pour enfin abolir cette loi qui participe à nous tuer, à nous précariser et à nous marginaliser. Nous nous étonnons d’un tel enthousiasme lorsque nos vies se dégradent. Mais nous nous félicitons, pour notre part, de n’être pas résigné·e·s et de savoir encore exister en dehors des morales petites-bourgeoises et des discours paternalistes. Surtout lorsqu’ils sont tenus par des personnes qui prétendent vouloir nous protéger.

Certaines choses n’ont pas changé, avant et après la loi de 2016 : Le même mépris hypocrite des personnes qui se fichent bien de nous et des droits des femmes, des minorités de genre et des conditions de vies des personnes sans-papiers, la même indifférence pour nos vies et nos discours, le même enthousiasme lorsqu’il s’agit d’appliquer des lois répressives. Mais notre volonté de nous faire entendre est elle aussi inébranlable.

À lire aussi