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Cela va fait deux ans jour pour jour qu’Abdelmalek Ben Massaï, quinze ans, a été tué par balle à Besançon. Sa mère et sa sœur étaient présentes le 10 février dernier, lors de la venue de Gérald Darmanin au centre Nelson Mandela à Planoise. Si cette visite du ministre a fait couler beaucoup d’encre dans la presse locale, peu de journaux ont relevé la présence de Hayette Ben Massaï et de sa fille Mounia. Le Ch’ni a eu l’occasion de s’entretenir avec elles et revient sur cette affaire, à l’occasion de la date anniversaire de la mort de l’adolescent. 

Devant la maison de quartier de Planoise, samedi 10 février, Hayette et sa fille Mounia sont arrivées les premières pour la visite de Gérald Darmanin. La mère de famille, une lettre à la main, est déterminée à voir le ministre de l’Intérieur : « Je suis venue lui donner cette lettre pour mon fils ». Hayette parle peu, pourtant, son visage, sa posture en disent long. Elle a les traits marqués et les yeux brillants de larmes, même si aucune ne coule sur ses joues. Sa souffrance, rien ne saurait l’exprimer avec exactitude et à sa juste hauteur : « Ce n’est pas facile… ce n’est pas facile » répète-t-elle doucement, à plusieurs reprises. Son corps est fatigué, et ça se voit. Elle marche comme une âme en peine, comme une ombre qui n’est jamais en repos à quelques mètres seulement de l’endroit où son fils a reçu une balle.

Comme chaque visite politique importante, il y a les personnes « officielles » et puis les « autres ». Avant l’arrivée du ministre au centre d’activité social et culturel, des habitant·e·s et responsables associatifs trié·e·s sur le volet sont monté·e·s au premier étage de la structure, là où une collation les attend. Les « autres » personnes venues voir le ministre sont à peine autorisées à rentrer dans le hall d’accueil de la maison de quartier. Hayette et Mounia Ben Massaï font partie de celles-ci. À l’arrivée du ministre un attroupement compact de citoyen·ne·s, d’employé·e·s de l’État, de personnalités politiques locales et de journalistes se forme au rez-de-chaussée. Malgré la cohue, Hayette et Mounia Ben Massaï ont pu remettre leur lettre à Gérald Darmanin, avant qu’il ne monte les marches vers le niveau supérieur du centre Nelson Mandela.

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Au rez-de-chaussée de la maison de quartier de Planoise, une poignée d’habitants non officiels attendent le venue du ministre de l’Intérieur. Photo Antoine Mermet/Hans Lucas.

Hayette ainsi qu’une poignée d’habitant·e·s interpellent le ministre. Dans le groupe, elle se différencie des autres. Économisant ses mots, elle tend sa lettre à Darmanin qui la prend. Il discute un court instant avec elle, devant les caméras des journalistes locaux et nationaux : « Je connais l’affaire » lui dit-il simplement. La suite ? Hayette, Mounia et ses trois grands frères ne la connaissent pas.

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À l’arrivée du ministre, celui-ci se dirige vers les habitantes et les habitants. Hayette en profite pour donner sa lettre soigneusement préparée. Photo Myriam Bendjilali.

Une affaire devenue politique

Quatre jours après la visite du ministre de l’Intérieur à Besançon, Hayette Ben Massaï et sa fille Mounia sont chez elles au chaud à l’abri de la pluie mais pas des larmes. Indiscutablement, la mère comme la fille ont gardé le sens de l’accueil. La table est bien garnie : jus, gâteaux orientaux et fruits secs : « elle est toujours comme ça quand nous accueillons des invités » dit Mounia, le visage souriant.

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Chez elles, Hayette et Mounia vont longuement revenir sur la mort de Abdelmalek autour d’une table bien garnie de
gâteaux traditionnels et du thé à la menthe. Photo Antoine Mermet/Hans Lucas.

Elles gardent toutes deux un souvenir positif de leur rencontre avec le ministre de l’Intérieur, malgré les circonstances : « Il nous a dit qu’il allait lire la lettre, qu’il savait pour la mort de Zizou » raconte Hayette. « Il a été très humain, oui ». Elles se rappellent aussi de l’altercation entre le ministre et la maire de Besançon, Anne Vignot au sujet des caméras de surveillance. Depuis la disparition de Zizou, pour Hayette et Mounia, la maire de Besançon n’a pas été à la hauteur de la situation. Mounia se remémore : « Alors que mon frère était encore sur son lit à l’hôpital juste avant de mourir, elle a accordé une interview à la presse locale en sous-entendant que mon frère était impliqué dans une affaire de drogue. Elle a voulu s’accaparer la situation mais au final elle nous a plus blessé.e.s qu’autre chose ».

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La maire de Besançon et le ministre de l’Intérieur se sont accrochés sur le nombre de caméras de surveillance à
Planoise, dans le hall de la maison de quartier. Photo de Myriam Bendjilali.

L’animosité et la rancœur à l’égard d’Anne Vignot sont toujours bien présentes chez les deux femmes. En cause, le sentiment profond et déchirant de ne pas avoir été suffisamment entendues par l’édile : « On l’a élue, la première chose qu’elle aurait dû faire, c’est venir nous voir ; c’était un enfant, à quinze 15 ans… » insiste Mounia. Le sentiment d’avoir été dénigré.e.s et que la mémoire d’un fils, d’un petit frère ait été salie est insupportable pour la famille Ben Massaï. Aujourd’hui, l’attente d’une avancée dans l’enquête semble rythmer sa vie.

Une enquête toujours en cours

« Les enquêteurs, ils ne lâchent pas ». Tout n’est pas encore réglé, loin de là. Après un an et demi à patienter les difficultés sont toujours aussi fortes pour la famille Ben Massaï. L’attente inexorable fait obstacle au travail de deuil. Pour Mounia, la difficulté est vertigineuse également : « Se dire que la personne est libre de faire ce qu’elle veut alors qu’il a tué un enfant, un frère, un fils… Elle mérite d’aller en prison et de payer pour ce qu’elle a fait, même si cela ne nous ramènera pas Zizou ». Sur l’enquête, la mère et la fille n’en savent pas beaucoup et préfèrent ne pas trop en dire.

« On ne sait pas qui c’est qui l’a tué et c’est très compliqué de trouver car ce n’est pas une personne connue à Besançon, je pense » ajoute Mounia, elle qui est née deux ans avant Abdelmalek et qui avait noué une relation fusionnelle avec lui. Si l’espoir existe encore pour Hayette, c’est par la voie de la justice qu’il se manifestera : « Je veux bien une chose, que justice soit faite ! que ça n’arrive pas à quelqu’un d’autre ». Ce lundi 29 août 2022 a bouleversé la vie de cette femme à jamais. Ce jour a été celui de la mort de son fils. « Tout le monde sait ce qui s’est passé, les détails sont dans la presse » affirme encore Mounia, non sans une certaine colère. « Sauvez-moi » seront les derniers mots d’Abdelmalek.

Voir plus loin que le trafic ?

S’il y a quelque chose sur laquelle Hayette ne veut pas davantage être silencieuse, c’est sur la situation des jeunes notamment à Planoise. « Il faut du soutien pour ces jeunes, les considérer, les accompagner. Pas de promesses et après plus rien. Ils sont abandonnés des institutions, comme lorsqu’ils “font une connerie” et qu’il sont immédiatement exclus. Les gamins, qu’est-ce qu’ils font quand ils ont plus rien à faire ? Ils vont vers l’argent facile de la drogue ». Une réflexion forte, aussi valable envers les parents : « Oui, les parents doivent être derrière leurs enfants mais une fois que les enfants ont goûté à l’argent facile, c’est très dur de les sauver ».

Quant aux associations nombreuses dans le quartier, pour Hayette comme pour sa fille de dix-huit ans aujourd’hui, elles sont souvent toutes identiques. « Il en faut d’autres, des différentes car celles qui existent ont souvent le même mode de fonctionnement . Ce qu’il faudrait c’est qu’il y ait par exemple des centres où les enfants pourraient avoir des activités, où les jeunes pourraient se retrouver pour s’amuser, pour faire leur devoirs scolaires mais aussi être aidés pour leur avenir. Ils ont besoin d’être suivis ». En dépit du fait que le deuil après la mort de Zizou soit toujours difficile, les deux femmes aspirent à ce jour à la paix et à l’amélioration des conditions de vie des jeunes du quartier de Planoise. Hayette en particulier met l’accent sur ce point : « Ce sont nos enfants, c’est notre avenir. Je veux que l’on pense à eux ».

« Je ne souhaite ça à personne, à personne »

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Hayette visionne des photos et des vidéos de son fils, parti à l’âge de quinze ans. Photo Antoine Mermet/Hans Lucas.

Encore aujourd’hui, Hayette est hantée par la présence de son fils Abdelmalek. Cauchemars, insomnies, immense chagrin. Elle est passée par tous ces états, et bien plus encore. Samedi 10 février, avec la venue du ministre, le passé a ressurgi : « Au début, je faisais des cauchemars, mais maintenant, j’entends beaucoup sa voix… J’entends toujours : “je t’aime maman !” ». Hayette peine alors à retenir ses larmes. Lors de notre échange, elle se plonge dans les souvenirs des jours heureux quand son fils était encore de ce monde. Elle fixe son attention sur son téléphone pour visionner d’anciennes photos et vidéos, perdant parfois le fil de la conversation avant que sa fille lui demande avec bienveillance de répondre à notre question. « Je ne suis plus la femme d’avant, il n’y a que le corps qui marche, et même le corps ce n’est plus comme avant non plus, je suis épuisée ».

Mounia quant à elle fait meilleure figure, pour autant la mort de son frère l’a profondément affectée. « J’ai beaucoup changé depuis qu’il nous a quitté.e.s. Ma vision de la vie a changé ». Après son décès, Mounia n’a pas commencé son année de terminale comme elle aurait dû. Elle manque les cinq premiers mois d’école mais obtient tout de même son bac avec une note dont elle n’est pas aujourd’hui complètement satisfaite. Puis, elle a pris une année pour faire son deuil, se poser et prendre de la distance : « Il faut dire la vérité, la santé mentale est partie aussi que ce soit pour ma mère ou pour le reste de la famille. C’est pas une petite épreuve qu’on a vécu ! ».

Le père et les grands frères de Mounia et Abdelmalek quant à eux, ont vécu la mort de ce dernier avec une douleur qu’ils leur est encore difficile d’exprimer. Le père a conservé les anciennes chaussures de son fils disparu, se refusant à les jeter. Quant aux frères, seul l’ainé a réussi a livrer sa souffrance devant les autres membres de la famille : « On exprime pas souvent nos sentiments, c’est comme ça » explique Mounia. À présent, Hayette pense à retourner vivre en Algérie auprès des siens là-bas et non loin de la tombe de son fils disparu. Mounia pour sa part ne sait pas encore si elle y retournera, ou si elle restera faire sa vie en France. Une chose est sûre, le souvenir de Zizou restera à jamais gravé dans la mémoire de cette famille ravagée par un deuil toujours impossible.

Image d’en-tête : Hayette parcourant son téléphone pour retrouver des archives de son fils

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