Créé le 6 février 2022, le « conseil départemental du culte musulman du Doubs » (CDCM) se veut le canal préférentiel voir exclusif de l’islam auprès des pouvoirs publics locaux. C’est à ce titre que ses responsables traitent donc de l’organisation liturgique et rituelle ainsi que des grands débats de société, normalement en phase avec la pluralité des congrégations. Mais confiée à un dignitaire cultivant ses proximités avec Ankara et relayant des thèses extrémistes, la voix de cette institution apparaît aujourd’hui pour le moins compromise.
Une omniprésence d’Ankara ?
Le bureau du « conseil départemental du culte musulman du Doubs » (CDCM) est composé de six membres, tous responsables de différentes mosquées implantées dans le Doubs. À sa tête se trouve un « secrétaire général » désigné comme le premier dirigeant, également en charge de la domiciliation du siège de l’association. Celui-ci administre la cellule bisontine du « Millî Görüş » (CIMG), une confédération islamique épinglée pour ses connivences avec le régime d’Erdoğan, son ancrage auprès des « Frères musulmans », ainsi que sa vision stricte de la foi.
À ses côtés, le « président » de la structure est quant à lui en charge de « l’Amicale des Amis Turcs et Français » (AATF) dans le Pays de Montbéliard. Entre condamnation claire de l’assassinat de Samuel Paty et construction d’un centre culturel à plusieurs millions d’euros, ses œuvres s’avèrent surtout encadrées par le « ministère des affaires religieuses » (DITIB) à Ankara. Les deux principaux postes du CDCM ont donc été attribués à des relais de l’islam sunnite turc officiel, bien que cette diaspora pèse moins du cinquième des fidèles et des formations en France.
Une analyse organique qui déteint sur le plan de la communication, constatant parfois un véritable mélange des genres. Ainsi sur un compte « Facebook » du CDCM, les reprises externes se révèlent presque exclusivement tournées autour de cette affiliation singulière. En-dehors des annonces et comptes-rendus, neuf des onze publications externes sont directement issues d’émanations du DITIB. Censé apporter une parole représentant la diversité des assemblées, dès lors l’organe pourrait être plutôt vu comme la caisse de résonance d’une chapelle précise.
« Charlie Hebdo au service de Satan »
Autre interrogation, la possibilité que cette confusion se transpose au surplus sur les positions du CDCM. En effet depuis quelques mois, l’organisation s’essaie aux communiqués à propos de sujets sociétaux. Le dernier date du 31 juillet 2024, visant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris. Faisant le parallèle avec les « caricatures de Mohammed », le document y dénonce les « moqueries » et « profanations » qui auraient été opérées durant cet événement. Signé collectivement, il nous est impossible de connaître quelle la plume de cet écrit.
Reste que l’audacieux comparatif rappelle une marotte du « secrétaire général », lequel a assené sur ses réseaux sociaux que « Charlie Hebdo » était « au service de Satan » et diffusé des théories du complot antisémites sur l’attentat du 7 janvier 2015. Présent avec d’autres cadres du CDCM lors d’un procès le 25 avril 2022, il s’est aussi désolé d’une sanction jugée légère ; Ce à quoi un internaute commente « pour comparaison va taguer une synagogue et on va voir la sanction », avec pour seule réponse un « like » et « c’est effectif, à nous de bouger pour faire valoir nos droits ».
Dérapages isolés, ou idéologie profonde ? En recherchant sur « Facebook » toujours, l’intéressé n’a jamais fait mystère de ses proximités avec Farida Belghoul et Hani Ramadan ou de ses opinions tranchées. Négation de la Shoah dépeinte comme un faux hitléro-sioniste, relais d’une vidéo titrée « comment le lobby Juif contrôle la France », LGBT+ qualifié·e·s de « pédophiles » et de « malades », forment quelques exemples de discours foisonnants depuis 2014. Une logorrhée ahurissante, émanant d’une figure considérée comme tutélaire pour les musulman·e·s du Doubs…
Le CDCM, qu’est-ce que c’est ?
Le « conseil français du culte musulman » (CFCM) fut fondé en 2003, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy. Selon les vœux du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, le CFCM comme les CDCM sont toutefois voués à disparaître. La mise à l’écart de ces entités fut en effet actée dès 2022, progressivement remplacées par le « forum de l’islam de France » (FORIF) et les « assises territoriales de l’islam de France » (ATIF). Mais malgré les scissions internes et désaveux étatiques, à Besançon comme dans de nombreux territoires cette évolution semble en réalité peu efficiente.
Si bien qu’on retrouve peu de traces concrètes de ces ATIF dans la région, alors que le CDCM maintient et amplifie ses activités en 2024. Une effervescence significative, le plaçant comme un interlocuteur incontournable en la matière. Cette reconnaissance se traduit par des relations tout à fait officielles et régulières, à propos de la gestion et du développement des mosquées, de projets d’établissements scolaires privés, des services funéraires, de la formation des imams, de l’application de la laïcité, ou encore de la montée des discriminations et violences.
Entrevues avec les parlementaires Laurent Croizier (17 novembre 2023), Jacques Grosperrin (27 décembre 2023), Nicolas Pacquot (3 janvier 2024) et Jean-François Longeot (15 janvier 2024), invitation à la cérémonie d’intronisation du nouveau préfet (29 janvier 2024), rencontre avec la sous-préfète Saadia Tamelikecht et la référente sécurité Sylvie Moulet (25 février 2024), rupture du saoum au « centre culturel islamique de Franche-Comté » (CCIFC) avec le haut-fonctionnaire Rémi Bastille et sa cheffe de cabinet (9 avril 2024), en sont des illustrations récentes.
Boîte noire
Contactés, par textos et/ou courriers électroniques, dans la journée du mercredi 26 août, les principaux protagonistes de ce dossier sont tous restés mutiques à nos sollicitations. Ainsi le « conseil départemental du culte musulman du Doubs », à l’instar de son président et de son secrétaire général, tout comme le référent communication de la Préfecture du Doubs, ont laissé nos demandes et questions lettres mortes.
Illustration d’en-tête : Coran et misbaha – Emna Mizouni/cc-by-sa-4.0.