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Ouverte en 2000 dans le quartier Battant par le groupe Proudhon, antenne locale de la fédération anarchiste (FA), la librairie associative l’Autodidacte propose bien plus qu’un simple partage de connaissances autour des livres. Le lieu, en constante évolution sous l’effet des projets qu’il accueille et des possibles qu’il invoque, appelle aujourd’hui les jeunes générations à prendre la relève.
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Un fonctionnement basé sur l’autogestion

Le groupe libertaire Proudhon, officiellement fondé en 1974, a d’abord eu plusieurs locaux situés rue Battant, avant d’arriver place Marulaz en 2000 et de créer une librairie associative. Après huit ans de location, les murs de l’Autodidacte ont été achetés par l’association éponyme, en partenariat avec l’Association pour l’Étude et la Diffusion des Philosophies Rationalistes (AEDPR), qui dépend également de la fédération anarchiste nationale. L’idée est avant tout de permettre aux libertaires bisontins d’utiliser un lieu sans dépendre des pouvoirs publics. Ici, pas de salarié·e·s, mais une équipe de seize bénévoles qui se relaient du mercredi au samedi entre 15h00 et 19h00.

Le fonctionnement de la librairie est une illustration convaincante du principe d’autogestion : « Les gens s’inscrivent pour faire des permanences, et on arrive à faire en sorte qu’il y ait toujours quelqu’un, sauf pendant l’été ». Mais assurer une permanence ce n’est pas seulement ouvrir la porte, c’est aussi être présent·e pour celleux qui souhaiteraient s’informer, ou parler politique : « Parfois les gens viennent parce qu’iels veulent comprendre, savoir, discuter, se faire conseiller des livres. Toutes les personnes qui font des perms sont capables de faire ça ». À chaque membre de la librairie son domaine de prédilection : au-delà de l’anarchisme, on peut par exemple venir se renseigner sur l’interlibertaire ou le Groupe d’Actions Féministes de Besançon.

Pour ce qui est du contenu de la librairie, en plus des auteur·ice·s anarchistes traditionnel·le·s, on trouve des livres développant des analyses actuelles sur le mouvement libertaire, mais aussi sur le syndicalisme, les mouvements sociaux, les gilets jaunes, le racisme, le féminisme. L’Autodidacte a pour volonté de proposer une offre diversifiée, malgré le manque d’espace : « On n’est pas une grande librairie, on ne peut pas avoir de dépôts-ventes. Les livres qu’on propose sont souvent liés à des demandes de la part de copains et copines. Après, en fonction des demandes on peut commander, rediriger les gens sur une autre librairie, ou la bibliothèque de PDA à la SCOPS ».

En plus de la vente de livres, les recettes du 1er mai libertaire et des soirées de soutien permettent de couvrir les frais de fonctionnement habituels et d’organiser divers évènements : à l’Autodidacte, on peut venir acheter des livres, discuter, mais aussi assister à des débats, projections de films, lectures publiques, évènements poésie ou slam, rencontres avec des auteur·ice·s, cafés théâtre, ou encore cafés polar. Le mot d’ordre : que chacun assume ce qu’il veut faire et incarne par ses actes le sens qu’il donne au terme anarchisme. À ce propos, les définitions convergent : l’anarchisme, c’est un choix de vie fondamental qui doit rejaillir sur tous les aspects de l’existence, une nature profonde inconciliable avec toute forme de hiérarchie, l’ordre sans le pouvoir, l’auto-organisation, l’amour de la liberté par le collectif.

L’autogestion s’étend aussi en dehors des murs de la librairie : face à des attaques qui vont de la pose d’autocollants fascistes à de franches dégradations, le quartier réagit. « Quand ils sont venus casser la vitrine, des gens qui se trouvaient au bar ont réagi immédiatement ». L’équipe de l’Autodidacte a choisi d’installer ses locaux à Battant car il s’agit d’un quartier populaire, de brassage : « On ne voulait pas le centre-ville ». La solidarité qui s’est développée autour de la librairie leur donne manifestement raison.

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En 2013, un groupe néonazi avait pris la pose devant la librairie.

Venir, c’est déjà politique

L’Autodidacte fonctionne sans réseaux sociaux. En plus de l’affichage, une liste de diffusion par e-mail permet de se tenir au courant des évènements organisés par la librairie. Et pour se faire inscrire sur cette liste ? « Le contact, il est simple. Faut venir à la librairie. Se déplacer, c’est déjà un acte politique ». Ici, le clic est délaissé au profit du contact humain direct. Le collectif se vit et se construit en face à face : « Sur les réseaux, le moindre mot peut amener une polémique. Quand on est face à face, il n’y a pas de polémique. Il y a un débat ».

« Venez » est le principal message que l’Autodidacte adresse aux lecteur·ice·s, invitation à venir voir, mais aussi à venir s’investir. En effet, la problématique de la relève se pose de plus en plus fortement. Comment transmettre tout ce qui a été construit ? Si la librairie est fréquentée par la jeunesse, les coups de main restent pour l’instant ponctuels : « Nous on était militants 24 heures sur 24, quand on disait on fait ça, on faisait. Aujourd’hui ce n’est pas le même militantisme. La librairie a besoin de sécurité, de s’appuyer sur quelque chose. Si quelqu’un dit “je fais une permanence” et ne la fait pas, la librairie reste fermée ». Pour les évènements aussi, à l’exception du 1er mai, il est plus difficile de mobiliser les gens : « Même pour le rassemblement du 11 novembre, le matin, les gens ne se lèvent plus. Ce n’est pas qu’il n’y a plus le sens de l’engagement, c’est que la manière de militer est différente. Un type d’organisation plus volatile, par passion, par à-coups. Pas sur la durée. Et la vie personnelle prend plus de place » confie Sylvain.

Pour Marisa, ce phénomène est à remettre dans le contexte du changement sociétal induit par le numérique : « Ça amène un autre type de rapport entre les gens. Avant on était des copains, politiques certes, mais des copains. Aujourd’hui ce n’est pas forcément le cas ». L’équipe tient à souligner que malgré les changements de militantisme d’une génération à l’autre, iels sont plus réceptifs à certaines idées que le certains présupposent. Concernant la question du travail du sexe en particulier, même s’il a pu exister des malentendus, l’équipe adhère aux luttes pour les droits des TDS : « On est abolitionnistes du travail en général, de toute forme d’exploitation. Du moment que les rapports sont libres et consentis, le travail du sexe n’est pas plus problématique pour nous qu’une autre forme de travail ». Marisa regrette un manque de dialogue : « Moi je le vis comme de l’âgisme. J’ai l’impression qu’ils pensent que vu l’âge on a des présupposés différents, mais on a jamais discuté de ça ! »  Bref, le lieu attend toujours d’être investi par les jeunes générations pour continuer à vivre et à changer avec elleux.

Une multiplicité de possibles

L’Autodidacte accueille des initiatives associatives de tout ordre : la librairie a servi de local à une AMAP, de salle pour des cours de langues. Elle accueille également les réunions du Resto Trottoir, qui propose un repas gratuit et végétalien cuisiné avec des invendus chaque dernier dimanche du mois, place Marulaz. N’importe qui peut venir proposer son projet et solliciter le prêt du local, l’aide de l’équipe : « Si on veut que le local vive, on veut de nouvelles idées, si on veut des personnes pour la relève, ça passe par là ». Cette année, du 7 septembre au 27 octobre, l’équipe de l’Autodidacte sera présente aux côtés des différents groupes anarchistes bisontins pour sept semaines d’évènements (conférences, débats, rencontres littéraires, concerts, projection, ateliers divers…) à l’occasion de la rentrée libertaire.

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