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Si l’idée d’un mode de consommation en accord avec la pensée antispéciste a commencé à se populariser dans les années 2000, c’est à partir de 2015 que l’offre alimentaire a véritablement explosé, en restauration comme en supermarché. Qu’en est-il dans notre région, dix années plus tard ? Petit panorama de l’offre antispéciste locale.

 

Des disparités géographiques

Aujourd’hui, en restauration, faire uniquement dans le végane ou le végétarien n’est plus un pari risqué : la demande est là et celleux qui se lancent trouvent rapidement leur clientèle. On compte à Besançon deux restaurants et une pâtisserie véganes (Namo Toyodoo, Veggie Corner et Cocoëlle) ainsi que quatre restaurants végétariens (Basilic Instant, Mijoto, l’Unalôme et La Citronnade), ce qui en ferait la ville de Bourgogne-Franche-Comté la plus concentrée en établissements purement véganes ou végétariens. Pour le reste de la région, on trouve trois restaurants végétariens à Dijon, deux à Chalon-sur-Saône et un à Belfort ainsi que dans certaines villes plus petites telles que Beaune, Auxerre, Joigny, ou encore Sens. À ces établissements spécifiquement dédiés s’ajoutent de nombreux endroits proposant des options véganes, ou à minima végétariennes. Pour ces régimes alimentaires, trouver un restaurant à son goût apparaît donc assez aisé… à condition d’habiter en centre-ville et d’avoir les moyens.

À Besançon, les établissements proposant une cuisine exclusivement végane ou végétarienne sont concentrés dans l’hypercentre, à l’intérieur de la boucle, à l’exception du Mijoto, proche de la place Leclerc. Hors du centre, dans les quartiers alentours, les options se réduisent drastiquement. En dehors des villes, c’est encore plus compliqué. Ces régimes alimentaires sont moins acceptés, et les restaurateur·ice·s elleux-mêmes font preuve de réticence, comme nous l’explique Martin, antispéciste sentientiste et végane depuis huit ans : « en campagne, rien que mettre vegan sur un plat ça fait fuir certain·e·s client·e·s, celleux qui sont obsédé·e·s par une certaine approche traditionnelle de la France ». Le véganisme est considéré à tort comme une tendance bourgeoise et citadine, principalement parce que les différentes classes sociales composant le mouvement sont représentées de manière inégale : « Les véganes pauvres sont invisibilisé·e·s, surtout celleux qui vivent en campagne, et il y en a plein ».

Une image publique polluée

Au sein de l’antispécisme, tout le monde ne bénéficie pas de la même visibilité : « Dans le mouvement on a des véganes très de droite qui écrivent des bouquins, font des conférences et visibilisent beaucoup le véganisme ». Les individus qu’on invite sur les plateaux télés, représentatifs d’une pseudo-spiritualité new age, blanche et individualiste, sont comme d’habitude des hommes cisgenres, pourtant minoritaires dans la lutte antispéciste, car encore nombreux sont les masculinistes qui croient qu’ils vont perdre leurs attributs s’ils lâchent leur steak. Difficile donc de contrebalancer face à la portée des médias mainstream malgré l’existence de médias alternatifs portant un discours plus représentatif de la communauté antispéciste : « On a l’Amorce qui est une revue antispéciste où il y a beaucoup de femmes qui écrivent et qui, elles, ont des connaissances que les mecs les plus visibles n’ont pas ».

Si le véganisme est couramment dépeint comme un ennemi de l’agriculture, dans les faits, les militant·e·s antispécistes ne revendiquent pas la fin de cette dernière mais une transition vers une production végane correctement rémunérée : « La FNSEA dresse les agriculteur·ice·s contre nous, mais on est leurs allié·e·s. On est les premiers à dire qu’il faut les rémunérer ». Idem pour la capacité qu’aurait le véganisme de nuire aux commerces traditionnels. Le mouvement est loin, à l’heure actuelle, d’avoir ce pouvoir : « Ce n’est pas une menace pour les boucheries mais ça pourrait le devenir un jour si médiatiquement on avait des informations provenant de vrais spécialistes et une offre crédible, avec des prix accessibles ».

Pour que l’antispécisme soit capable de bouleverser le paysage économique, il faudrait d’abord que l’existence des véganes soit prise en compte à la racine, au niveau de l’apprentissage. Ce n’est ni le cas en cuisine, ni en médecine. Fabrice a dû se former par lui-même pour combler les lacunes du CAP cuisine qu’il a suivi, avant d’ouvrir Basilic Instant : « On travaille du carné, du poisson, rien en végé ou végane. Ça reste très traditionnel ». Martin, de son côté, regrette l’incapacité des professionnel·le·s de santé qu’il a constulté·e·s à le conseiller pour la supplémentation : « Pour la B12, aucun·e ne m’a prescrit la bonne dose, c’est un sujet peu abordé dans les cursus de médecine et diététique ».

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En marge d’un procès visant une action dans un KFC local en 2021, des militant·e·s ont affiché cette banderole. Malgré les réserves et critiques quant aux grandes enseignes agroalimentaires, la plupart des véganes appuient néanmoins aussi un changement des pratiques dans ce milieu. Mais ce front fait régulièrement débat : même antispéciste, un géant du fast-food n’en est-il pas moins infréquentable de par tous ses autres aspects problématiques ?

Être végane, c’est cher ?

Aujourd’hui, les supermarchés ont leurs propres gammes de produits véganes, dont les prix et la qualité varient : « Il y en a qui sont dégueulasses et très chers ce qui est un problème car ça n’aide pas à donner une bonne image du véganisme ». Se fournir en supermarché peut vite devenir compliqué si on ajoute l’instabilité de l’offre : « Des fois il y a des produits qui sont là trois mois et qui vont disparaitre alors qu’ils étaient bien vendus ». En magasin bio, l’offre est calibrée pour les budgets aisés et la qualité n’est pas à la mesure du prix. On est plus dans l’idée d’exploiter une tendance qui rapporte, que d’allier éthique et alimentation : « L’offre est surtout définie par des marketeu·x·ses et leurs études ne visent que certaines populations car l’image qu’ils ont des véganes, c’est juste les riches ».

Et en restauration ? A la question « est-ce que ça coute plus cher de cuisiner végane ? », les gérants de Basilic Instant et du café ÖST, qui propose des options végétales, ont tous les deux répondu que non, pas sur le principe, mais que ce qui coûte cher, c’est surtout le choix de produits de qualité, issus d’une agriculture biologique et locale. Rester accessible à un maximum de monde revient donc à faire moins de marge qu’en restauration classique dans le cas du café ÖST, ou à compenser par un système de buffet à volonté pour Basilic Instant.

Mais être végane ça reste possible avec peu ou pas d’argent. L’aide alimentaire prend en compte le véganisme : « la croix rouge apporte un sac de fruits et légumes frais, et un sac de conserves. Parfois il y a des erreurs, tu peux recevoir une brique de lait, mais jamais de viande, ils font quand même gaffe ». La consommation de produits d’origine animale donnés, récupérés dans les poubelles ou volés reste cohérente avec le mode de vie de Martin, également adepte du freeganisme : « Si tu l’as pas payé c’est okey et si t’as pas le choix tu fais avec ce que t’as. À choisir, mieux vaut payer ses produits végétaux et voler les produits animaux ».

Cesser d’être dans l’imitation

Ce qui coûte cher, ce sont surtout les substituts de produits animaux. Ceux qu’on trouve en supermarché et en magasin bio ont les mêmes défauts que les produits transformés classiques : gras, salés, sucrés et produits de manière industrielle. La nécessité de ces produits reste discutable : « Il y a l’aspect plaisir, et socialement c’est aussi plus facile… En gros les similis c’est pratique pour qu’on nous foute la paix ». Dans une société plus en paix avec l’antispécisme, où les gens qui mangent carné ne se sentiraient pas agressé·e·s ou culpabilisé·e·s par le véganisme, on peut imaginer qu’il y aurait plus de facilité à arrêter de chercher à remplacer à tout prix un steak par un autre steak : « En cuisine t’as pas besoin de la pièce de viande pour que ce soit bon. Un chili sin carne c’est très bon ».

On peut aussi se tourner vers des cultures culinaires en partie végés ou véganes par essence : « Dans n’importe quel kébab il y a des falafels, dans un restau libanais on a toujours quelque chose à manger. Pour la cuisine indienne et asiatique aussi, c’est facile de demander une adaptation ». De même, une alimentation végane n’est pas incompatible avec une consommation locavore : « Les légumineuses, les céréales et les fibres c’est 90% de ce dont on a besoin. Il faut quand même ajouter une supplémentation en B12. Et en iode, si on ne consomme pas d’algues. Par contre pour les fringues, acheter à la fois local et végane c’est compliqué. Le seconde main reste la meilleure alternative ».

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Sylvian, membre de l’équipe du café ÖST.

Une lutte qui dépasse la cause animale

Proposer une alimentation végétarienne ou végane fait souvent partie d’un engagement global pour l’écologie. À Basilic Instant, la décoration est réalisée à base de recyclage, les contenants sont en verre, le restaurant fait aussi brocante. Fabrice, lui-même végétarien, défend une cuisine artisanale et écoresponsable à travers laquelle il prend aussi soin des personnes dont le régime alimentaire est lié à des enjeux de santé : « dès le départ le buffet était végétarien puis au fil du temps on a rajouté du végane, du sans gluten, du sans lactose et du sans sucre pour les diabétiques. J’accueille aussi des gens qui sont cœliaques, on leur fait des plats en cuisine, ils ne se servent pas au buffet ».

Pour Fred, l’aspect écologique est primordial : au café ÖST, plus d’emballages jetables pour les commandes à emporter, les boites consignées seront bientôt la seule option possible : « On fait partie de la nature, c’est une aberration d’aller contre la nature aujourd’hui ». Lors de l’ouverture en 2014, l’offre comprenait de la viande, du poisson et des œufs puis, la carte évoluant avec la demande, ces produits ont disparu au profit d’une cuisine essentiellement végane : « Aujourd’hui il ne reste plus que le saumon pour les baguels ».

Martin, lui, souligne l’apport de l’antispécisme pour la lutte anticapitaliste : « L’abolition animale c’est une question politique beaucoup plus globale et importante que ce qu’on veut bien accepter de penser à gauche ». En effet, arrêter d’exploiter les animaux c’est aussi, par exemple, aller contre la colonisation de pays du Sud global où l’on préfère utiliser les surfaces agricoles pour nourrir les animaux destinés aux pays occidentaux plutôt que de laisser les populations sur place les cultiver pour répondre à leurs propres besoins alimentaires : « C’est souvent un reproche qu’on fait au véganisme de pas s’intéresser aux humains alors que c’est totalement faux ».

Image d’en-tête : Fabrice, propriétaire du restaurant végétarien Basilic Instant.

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