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Identifiée comme zone à urbaniser depuis plus de 15 ans, la Zone d’Activité Economique (ZAE) des Champs Chevaux à Saint-Vit pourrait être étendue de 20 hectares afin d’accueillir, à l’horizon 2028-2030, plus de 20 entreprises. L’artificialisation de cet espace, aujourd’hui exploité par trois agriculteur·rices et le lycée agricole Granvelle, fait face à de vives critiques, dans un moment où les exploitant·es peinent à trouver de nouvelles terres et à l’heure où l’autonomie alimentaire, par de la production locale, est mise en avant. 

 

Un projet qui surprend

« Il y a des cultures et des prairies de fauche sur tout l’espace de la ZAE » explique François Favory de l’association de défense des vals de Sobant et de la Sonoche, qui s’est très tôt penchée sur ce projet d’urbanisation de ces 20 ha de terres à l’est de la commune de Saint-Vit. « Le projet est contradictoire avec le discours de Grand Besançon Métropole (GBM) qui veut développer l’installation de jeunes agriculteurs et agricultrices en marge de l’agglomération bisontine. » Une aberration également pour Eloi Petit, installé en famille à Torpes, où il cultive des pommes de terre, transforme en farine ses céréales, élève ovins et bovins qu’il vend en partie sur sa ferme et pratique l’agriculture de conservation des sols sur ses parcelles. Une d’entre elles étant située sur la zone des Champs Chevaux, il se souvient qu’à l’époque, il n’avait pas mesuré l’ampleur du projet : « en 2019, quand on a entendu parler du projet, on pensait initialement que ce serait quelque chose qui serait en bordure de nationale, c’est-à-dire dans l’alignement du bâti existant pour éviter les dents creuses, on a dit pourquoi pas. » 

Contacté fin juin 2024, Nicolas Bodin, deuxième Vice-Président de GBM, disait qu’il y avait eu « quelques modifications à la marge mais que c’était le projet initial qui avait été gardé » . Ce projet, porté à la base par la commune de Saint-Vit, est depuis passé entre les mains de GBM. Dans les différentes délibérations que nous avons consultées, il n’a jamais été question de repenser le projet pour en diminuer l’ampleur. Dans un document présenté le 11 septembre dernier lors d’une réunion publique, il apparaît même que le projet pourrait venir rogner 2 ha de terres agricoles supplémentaires par rapport aux plans initiaux.

Des fouilles quasi surprises et destructrices

En 2019, 2022 et 2023, des arrêtés préfectoraux d’ « autorisation de pénétrer sur les parcelles privées » , faisant référence à la loi ancienne du 29 décembre 1892, sont pris afin d’ « exécuter les opérations nécessaires à l’étude des projets de travaux publics » . À l’automne 2023, des fouilles sont réalisées sur la totalité des 20 ha. 

Eloi Petit, qui a durant des années minimisé le travail mécanique du sol en y assurant une couverture permanente par la diversification des espèces cultivées, afin de garantir une qualité de sol optimal propre à l’agriculture de conservation, évoque le passage des pelleteuses : « Ce n’est plus le champ avec lequel j’ai vécu pendant 20 ans à essayer de faire vivre la vie du sol. Là on est revenu à un sol classique. Je dirais même qu’une fois que l’exploration a eu lieu, elle est passée [la terre] du côté de l’artificialisation. Moi, psychologiquement, j’ai lâché l’affaire » . Il image aussi comment il a subi les fouilles : « C’est comme si, riche d’un document du préfet, je viens à votre porte en vous disant que j’ai le projet d’acheter votre maison mais avant de signer j’aimerais quand même vérifier qu’il n’y a pas un défaut de structure sur votre bâtiment. Donc je casse le carrelage, je vérifie qu’il y a une dalle qui est solide et je remets le carrelage tout cassé et repars en promettant d’acheter la maison. » Lui qui dit ne pas être « un militant zéro artificialisation nette » , évoque un manque de rigueur de la part de GBM notamment sur la réalisation des états des lieux préalables, des protocoles d’indemnisation et sur la lisibilité du calendrier.

Pour François Favory, qui a lancé les premières alertes, « les paysans ont été maltraités. Ce n’est pas qu’ils n’ont pas été consultés mais bien l’enchainement des actions sur le terrain. On se fout de leur travail, ils ont été méprisés. Il n’y a eu aucun respect pour le travail paysan » . Pour ce qui est des compensations, Nicolas Bodin nous indiquait que « toutes les personnes avaient été indemnisées et qu’elles ont été indemnisées alors même qu’elles peuvent continuer après les fouilles à utiliser les terrains. On se retrouve donc avec des terrains dont nous ne sommes pas propriétaires, qui continuent à être exploités, avec une indemnisation de GBM. » Doit-on comprendre ici que les exploitant·es n’ont encore rien perdu ? 

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Image satellite d’une partie de la zone (environ 2,5ha) où l’on remarque le travail de fouille. Des tranchées similaires ont été réalisées sur la totalité de la zone. Images aériennes © IGN.
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Des cailloux sont visibles en surface à la suite des fouilles et du nivèlement effectué après celles-ci. Antoine Mermet/HansLucas.

Au nom de l’attractivité économique

Nicolas Bodin, après avoir comparé différentes métropoles de plus de 100 000 habitants via le portail de l’artificialisation, dit avoir « vu qu’au niveau du grand Besançon, assez peu d’espaces étaient consacrés à l’activité économique par rapport aux autres grandes métropoles. On est à 22 % d’espaces consacrés aux zones économiques alors que la moyenne nationale est de 32 %. On a donc consacré plus que la moyenne au niveau du logement » . Selon lui, « il y a beaucoup de projets d’extension d’entreprises déjà présentes et elles sont confrontées à un manque d’offre de terrains prêts à les accueillir » . Cette politique de mise en concurrence des territoires pourrait faire naître une bataille autour de la répartition entre les projets de logements et ceux à vocation économique sur les différentes communes de GBM. 

En prenant la défense du projet, Pascal Routhier, maire de Saint-Vit et troisième vice-président de GBM en charge de l’habitation, lança un débat improvisé de presque 1h30 autour des zones d’activités lors du conseil communautaire du 23 mai 2024. « Cette zone aurait dû être la première à sortir de terre, en plus nous avons des attaques répétées : on a encore reçu un courrier des Soulèvements de la Terre, on reçoit aussi des informations d’autres organisations écologiques de la place. (…) Jusqu’à aujourd’hui, on a essayé d’avancer sans vouloir griller des surfaces entières bêtement et notamment des réserves de prairies. (…) Une zone industrielle finit toujours par être rentable. J’ai sorti une zone de 35 ha, en 5 années elle était rentable. » Dans ce débat alimenté par de nombreuses interventions d’élu·es, le sort des terres, le devenir de leur exploitant·es, de leurs propriétaires, et de leur compensation n’ont jamais été évoqués.

« L’agriculture, c’est de la richesse”

Laurence Lyonnais est agricultrice en polyculture et polyélevage à Saint-Juan et représentante de la Confédération paysanne au niveau local. Pour elle, « c’est continuellement qu’il y a des projets qui visent à artificialiser des terres agricoles alors qu’elles sont productives. Le sol, c’est un capital multimillénaire, qui s’est transmis de génération en génération. Aujourd’hui, cette terre est productive car il y a des gens qui l’ont mise en valeur par le travail » . Elle souhaite rappeler qu’à chaque fois qu’un projet de la sorte impacte des terres agricoles, « on est dans la négation de ce capital naturel, et dans la négation du travail des agriculteur·ices. C’est une double négation de richesse pour au final dire qu’on va faire de la création de richesse. Mais l’agriculture aussi crée des emplois et pourrait en créer davantage » .

Selon Odeline des Soulèvements de la Terre, mobilisée le 1 juin dernier à Saint-Vit, de nombreuses personnes voudraient s’installer pour développer des petites structures de production mais n’y arrivent pas. Pour elle, l’ambition de GBM est en premier lieu d’investir sur la « vraie économie » : « Entre ce qu’on demande aux services de GBM de faire et les moyens qu’on leur donne, c’est quand même pour remplir l’objectif de développer les zones d’activité. Par contre, les moyens qui sont donnés pour trouver des solutions alternatives, il y en a très peu. Donc on va nous dire qu’il n’y a pas de solution, mais en fait ils ne se donnent pas vraiment les moyens pour que ces solutions soient trouvées. » Le schéma des zones d’activités économiques de GBM, adopté le 11 mai 2022 en conseil communautaire, prévoit 29 nouvelles zones. D’autres mouvements d’opposition à la construction de ces zones pourraient ainsi bien voir le jour, comme c’est déjà le cas à Marchaux, où il est prévu l’artificialisation de 34 ha de terres agricoles. Une réunion publique à ce sujet devrait par ailleurs avoir lieu le 6 novembre.

Photo prise a une extrémité de la zone.
La zone s’étendrait sur 1,15 km de long. Antoine Mermet/Hans Lucas.

Sur le foncier, le milieu agricole toujours perdant

Marie Guiot, directrice du lycée agricole Granvelle de Dannemarie-Sur-Crète depuis le 1er septembre, exprime une inquiétude par rapport au maintien de la surface globale de l’exploitation : « Ça nous pose des problèmes de perdre 2 ha de terres car on a une surface pas très importante par rapport à la taille de l’exploitation et du troupeau. Au minimum il faut que l’on conserve nos 109 hectares. Si on pouvait en récupérer un peu plus par le biais d’achats, ça serait bien (…) On n’est pas à l’abri à un certain moment de perdre quelques hectares aussi, et avoir une petite réserve foncière, c’est une marge de sécurité. » D’après les documents exploités, nous avons constaté sur cette zone qu’un seul exploitant est propriétaire de 0,5ha.

Le 3 janvier 2023, Anne Vignot signait une procédure de préemption pour le rachat de 16 893 m2 (1,7 ha) d’une terre agricole sur la zone en question au prix de 112 500 euros suivant l’estimation de la Direction de l’Immobilier de l’État, soit 6,7 €/m2. Lorsque GBM avait été informé de la vente, le prix de vente fixé par les vendeurs était de 304 074 euros, soit 18€/m2. Contacté, un des vendeurs nous dit ne pas avoir à ce jour cédé le terrain à GBM. « Aujourd’hui, le prix moyen des terres agricoles dans le département du Doubs est de 3 300 euros par hectare » nous informe Laurence Lyonnais, soit 0,33€/m2. « Une famille qui possède des terres qui se trouvent à côté d’un lotissement ou d’une zone d’activité, vous croyez qu’elle va vouloir le vendre à un·e agriculteur·ice alors que l’on a acheté au voisin son hectare pour 70 000 euros ? » conclut-elle.

Aujourd’hui le prix moyen des terres agricoles dans le département du Doubs est de 3 300 euros par hectare

Laurence Lyonnais

Tout le problème est là : dans les zones périurbaines en pleine densification, où cohabitent champs et infrastructures, le prix des terres considérées comme artificialisables explose et la spéculation bat son plein. Alors que l’accès au foncier était une revendication lors de la grande mobilisation sociale agricole de janvier, la différence de valeur des terres en fonction de leur destination reflète la manière dont on estime et considère encore le métier.

Aussi, comment sera-t-il possible d’assurer les objectifs du Projet Alimentaire Territorial (PAT) pour « fédérer les acteurs du territoire pour tendre vers une alimentation saine, durable et accessible au plus grand nombre, mais aussi de renforcer l’approvisionnement local » quand on sait qu’entre 2001 et 2017, Grand Besançon Métropole a perdu 817 ha de surface agricole ?

Image d’en-tête : La zone présente des nombreuses dolines et un relief plutôt vallonné. Antoine Mermet/HansLucas.

L’objectif ZAN dans la loi « Climat et résilience »

L’objectif de Zéro Artificialisation Net a été fixé pour 2050 avec un premier objectif de réduction à l’horizon 2030. Ainsi, chaque territoire au niveau régional doit fixer un quota maximum d’hectares de terres artificialisables pour la décennie actuelle, calculé en divisant par deux le nombre d’hectares naturels, agricoles et forestiers artificialisés (infrastructures publiques, logements, zones d’activités…) sur la décennie précédente. 

Selon nos informations, 650 ha ont été artificialisés entre 2011 et 2021 sur GBM et un quota maximum de 262 ha lui a été attribué pour 2021-2030.  La spatialisation et la répartition de ces hectares artificialisables vont figurer définitivement dans le PLUi qui devrait être approuvé fin 2025 selon la communication de la métropole. 

Par ailleurs, pour la période 2031-2050, rien n’est encore dit sur la manière dont l’objectif de zéro artificialisation nette devra être atteint.

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