Connaissez-vous le Liet International ? Depuis ses débuts aux Pays-Bas en 2002, ce concours de musique et de chant est décrit comme l’Eurovision des langues régionales et minoritaires et il s’est forgé une solide réputation. Véritable aboutissement pour les groupes sélectionnés, il a vu la Franche-Comté et sa langue arpitane se glisser par deux fois dans sa finale.
Du Liet au Liet International
D’abord simple concours de chant pour le frison occidental dès 1991, le Liet devient le Liet International en 2002 en ouvrant sa scène à d’autres langues régionales et minoritaires européennes. Présenté très vite comme une alternative à l’Eurovision de la chanson, il obtient le soutien du Conseil de l’Europe en 2008.
Des demi-finales et une finale
Comme à l’Eurovision, des demi-finales existent, mais elles sont souvent organisées plusieurs semaines avant la finale et dans des zones distinctes correspondantes à des groupes linguistiques possédant une scène musicale importante. Deux demi-finales sont emblématiques : celle réservée au frison occidental, qui est le concours originel, et celle des Samis (Laponie). D’autres demi-finales ont existé pendant quelques années comme le SUNS, une demi-finale réservée aux langues de la Méditerranée et des Alpes, avant de devenir un concours à part entière. Les demi-finales permettant de qualifier déjà plusieurs artistes et le reste des groupes est choisi sur candidature. La finale peut ainsi se jouer entre huit à quatorze groupes selon les éditions. Le jour de la finale, le système de répartition des points se fait par un jury et une récompense financière de 2000€ est attribuée au groupe gagnant. Enfin, une autre récompense de 1000€ est offerte à un autre groupe par le vote du public ; beau lot de consolation quand même ! Quant aux places d’honneur, la récompense est surtout médiatique.
Interdiction de chanter en anglais
Si vous trouvez que l’Eurovision de la chanson est trop anglophone, alors le Liet International est fait pour vous puisque l’anglais est prohibé pour la composition des chansons. Le règlement impose ainsi l’usage de la ou des langues régionales et minoritaires du territoire représenté à partir du moment où une langue est reconnue par le concours. Le Liet International offre donc l’occasion d’entendre des langues celtiques (gaéliques irlandais et écossais, breton, mannois, cornique), latines (galicien, asturien, catalan, occitan, arpitan, corse, sarde, romanche, ladin, frioulan), germaniques (scots, frison occidental, bas saxon, luxembourgeois), finno-ougriennes (sami, meänkieli, vote, vepse), ouraliennes (oudmourte, komi, mari), turques (tatar, bashkir), slaves (croate). Et la liste est non-exhaustive, car citons aussi l’hébreu samaritain et bien sûr, le basque.
Officiellement, chaque artiste représente une aire linguistique et cela donne des possibilités de représentation assez originales, comme celle de voir des artistes d’un même territoire historique être en compétition. Ce fut ainsi le cas de deux groupes écossais en 2018 représentant chacun le gaélique et le scots. Et c’est là qu’émerge la partie officieuse du concours, puisque de nombreux artistes concourent plutôt sous les couleurs de leur région historique, notamment ceux issu de région dites à forte identité.
Une confidentialité assumée
Le Liet International a pour habitude de se dérouler dans des capitales régionales ou des villes culturelles de second plan comme en témoigne la liste des villes hôtes :
2002 : Leeuwarden, Pays-Bas
2003 : Leeuwarden, Pays-Bas
2004 : Leeuwarden, Pays-Bas
2006 : Östersund, Suède
2008 : Luleå, Suède
2009 : Leeuwarden, Pays-Bas
2010 : Lorient, Bretagne
2011 : Udine, Italie
2012 : Gijon, Espagne
2014 : Oldenbourg, Allemagne
2017 : Kautokeino, Norvège
2018 : Leeuwarden, Pays-Bas
2020 : Aabenraa, Danemark (ANNULÉ)
2021 : Aabenraa, Danemark (NON-COMPÉTITIF)
2022 : Tønder, Danemark
2024 : Bastia, Corse
Avez-vous donc remarqué la caractéristique de cette liste des villes hôtes, hors la présence régulière de la ville de Leeuwarden ? Les reports sont nombreux ! Huit en vingt-deux ans, dont un non-compétitif suite à l’annulation de l’édition 2020 pour cause de pandémie. L’Alsace, qui aurait dû y être représentée pour la première fois, en a malheureusement fait les frais… Sa chanteuse Isabelle Grussenmeyer n’a ainsi jamais pu concourir.
Autre caractéristique, une communication plus que légère. Ainsi, l’organisation n’a développé qu’un site internet, quelques réseaux sociaux, dont Facebook qui diffuse la finale en direct, et des affiches placées dans la ville hôte quelques jours avant le concours. Enfin, la promotion du concours est surtout assurée par des médias régionaux, même si quelques médias internationaux viennent ensuite couvrir la finale. Une forme de confidentialité totalement assumée, car chaque finale n’accueille que quelques centaines de personnes, mais c’est à chaque fois un public qui vient en connaissance de cause.
Mais le Liet International est plus qu’un concours de musique et de chant, c’est un moment de rencontre entre artistes en compétition, pour qui la compétition ne semble pas exister. Bien sûr, la première place ouvrira toujours des plus grandes portes que les places d’honneur ; certains groupes et artistes resteront toujours plus longtemps sous les lumières de la scène et des caméras pour répondre aux questions de la BBC, d’Al Jazeera et du New York Times, mais l’essentiel est ailleurs. Avec le public, les médias, les partenaires techniques et financiers, les forces organisatrices, la régie ; tous se retrouveront dans le hall de la salle de spectacle de la ville hôte pour fêter des cultures parfois bien différentes mais qui subissent souvent le même mépris, la même violence, la même confiscation, le même oubli. Mais heureusement, ceux qui viendront d’un pays ou d’une région où l’usage des langues régionales est beaucoup mieux toléré voire reconnu par la législation partageront toujours les solutions aux problèmes et les réponses aux questions. Ainsi va l’Europe des langues régionales.
La Laponie, grande gagnante
Avec cinq victoires en 2003, 2004, 2006, 2009 et 2017, la Laponie prend la tête du classement, suivie de la Corse avec deux victoires en 2008 et 2022. Enfin, avec une victoire, la Catalogne en 2002, les Îles Féroé en 2010, la Frise en 2011, la Bretagne en 2012, le Tyrol du Sud et sa langue ladine en 2014, et les Cornouailles en 2018 complètent le tableau. Cependant, si l’on compte le nombre de langues représentées par pays, c’est la Russie qui passe en tête avec huit langues qui ont eu le droit de cité sur scène. De nouveau, ce simple tableau des victoires prouve bien la mince frontière entre le caractère officiel et officieux du concours.
Et la Franche-Comté dans tout ça ? Eh bien, surprise ! Elle a été représentée par votre chroniqueur lors des demi-finales du SUNS à Udine (Italie) en 2012 et 2014, avant d’atteindre directement les finales en 2018 et 2022. Les quatre chansons successivement interprétées – Tot béloma, Sambodi ô San-Yôde, Bondze Heidi, U Port Titi – étaient toutes composées en arpitan. En arpitan, car le franc-comtois n’est pour l’instant pas encore admis au concours.
Mais terminons cette comtoiserie n°6 par le Liet International 2024. Cette année, le concours se déroula le 22 novembre à Bastia, en Corse. L’Île de Beauté s’est vu offrir l’organisation grâce à la victoire de sa chanteuse Doria Ousset en 2022. Ainsi, loin du kitsch de l’Eurovision de la chanson, de ses polémiques et ses scandales, le Liet International joue les cartes de l’authenticité, de la simplicité et de la proximité, à l’image des langues et de leurs artistes qu’il met en lumière et de son symbole : un rossignol chantant. Alors espérons qu’il chante encore longtemps.