Route Du Pont Du Diable Tsemin Di Pont Di Diaibou

Sujet rapidement évoqué dans la Comtoiserie n°5, la signalisation bilingue reste absente des paysages francs-comtois. Pourtant, elle peut encore être une formidable force culturelle et économique.

Un rendez-vous manqué avec l’Histoire
En France métropolitaine, le premier panneau bilingue intégrant une langue régionale – le breton – semble avoir été installé en Bretagne dès 1968 dans la commune de Plomelin/Ploveilh. Ensuite, les panneaux bilingues se multiplieront dans plusieurs régions françaises dès les années 80, mais la Franche-Comté restera à l’écart du mouvement… Un fait assez surprenant et malheureux pour une région dite à forte identité.

Mais les années 2010 apportent un changement. Le renouveau de la musique franc-comtoise et la composition en langues régionales influent sur la présence de ces dernières dans l’espace public. Ainsi, la pose de quelques panneaux artisanaux en carton en 2012, dans les environs de Salins-les-Bains (Jura), puis le démontage d’une dizaine de panneaux dans le même secteur en 2013 permettent d’attirer l’attention des médias et d’une partie de la population sur la disparition du patrimoine linguistique, notamment pour l’arpitan. Il faut ensuite attendre 2019 pour que deux plaques de rue bilingues français/arpitan soient offertes à la commune de Sainte-Anne (Doubs), puis deux autres plaques de rue bilingues français/franc-comtois à la ville de Besançon l’année suivante. Mais ces quatre plaques de rue restent encore aujourd’hui bien seules car les communes bénéficiaires n’ont jamais décidé de l’extension du projet et aucune commune franc-comtoise ne possède à ce jour de panneaux d’entrées et de sorties d’agglomération. Et si de tels panneaux existent pour la langue franc-comtois, ils sont… En Alsace ! Cela semble paradoxal, mais l’une des 12 communes comtophones alsaciennes, Montreux-Jeune/Djuene-Métrue, possède une signalisation complète français/franc-comtois depuis 2014.

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Plaque de rue bilingue français/franc-comtois, installée dans la rue d’Arènes à Besançon.

Un atout non exploité…
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la pose et l’entretien des plaques de rue et des panneaux d’entrées et de sorties d’agglomération ne sont pas de la compétence du département mais bien de la commune. L’avenir des langues régionales dans l’espace public dépend donc de la bonne volonté des maires.

En Franche-Comté, difficile d’expliquer leur réticence voire leur haine pour ce qui est l’une des solutions aux problèmes de déclassement. Une station de ski comme celle de Métabief, aujourd’hui en proie à des difficultés économiques liées au déclin des activités hivernales par manque de neige, peut trouver dans la signalisation bilingue une façon de se réinventer. Et cette voie à suivre peut l’être pour de nombreuses autres communes sur le déclin ou au contraire en plein essor, dans les deux cas pour se démarquer et gagner en visibilité.

Mais pour les communes précurseuses et les autres qui suivront, la signalisation bilingue n’a pas pour objectif de transformer des quartiers en musées à ciel ouvert. Cependant, aux quartiers historiques, elle évoque par ses toponymes les métiers, les institutions, les bâtiments et monuments, les arts populaires, la religion et les croyances ; aux quartiers résidentiels modernes, elle apporte assurément une touche d’authenticité et d’embellissement à un environnement structuré d’architectures non vernaculaires.

Pourtant, en 2020 et 2021, l’Institut de Promotion des Langues Régionales de Franche-Comté adressait un courrier à des centaines de communes dans les quatre départements francs-comtois pour le développement de la signalisation bilingue. Résultat ? Catastrophique ! Seulement deux réponses ont été émises par les villes de Belfort/Béfoûe et de Champagnole/Tsampagnola ; les deux négatives bien sûr. Même un territoire comme celui du Saugeais, avec son attirail folklorique, n’a pas développé la signalisation bilingue pour promouvoir son dialecte. Pourtant, plus qu’ailleurs, une telle initiative serait applaudie, bien couverte par les médias, fortement commentée sur les réseaux sociaux et déplacerait les foules.

Et pourtant source d’emplois.
Et en parallèle d’un rendez-vous manqué avec l’Histoire, c’est une économie injustement incomprise. Traduction, facturation, fabrication, livraison, pose, entretien, promotion ; la signalisation bilingue demande bien des mains avant d’être admirée par une population et des touristes. Surtout que les affaires pourraient être juteuses pour les entreprises de signalétique et la Franche-Comté en compte deux très importantes : Franche-Comté Signaux et Signaux Girod. Avec 600 noms de communes déjà disponibles sur l’ensemble de la Franche-Comté et sachant que chaque commune a besoin d’au moins 4 panneaux (deux d’entrée et deux de sortie pour un axe principal), cela fait déjà 2400 panneaux à fabriquer ! Sans parler des milliers de plaques de rue (dont le prix à l’unité varie entre 80€ à 120€ selon la matière, la taille et la couleur), des panneaux de direction des routes départementales et nationales, de la signalisation urbaine pour les commerces, les toilettes, les pistes cyclables etc, c’est un véritable trésor que personne ne semble aujourd’hui vouloir ouvrir.

Mulhouse Entrée Agglomération
Une entrée d’agglomération à Mulhouse, fléchée en français/alsacien – MlibFR/cc-by-sa-3.0,2.5,2.0,1.0.

Mulhouse, un exemple à suivre
Face à la réticence et à la haine, invitons donc nos politiques à s’aérer et s’ouvrir l’esprit en Alsace, à Mulhouse. La ville alsacienne a installé ses premières plaques de rue en 1991, grâce aux efforts de la conseillère municipale Évelyne Troxler, alors déléguée à la langue et à la culture régionale. Une signalisation installée progressivement durant ces 33 dernières années, rue après rue, pour en compter aujourd’hui des centaines.

La ville dispose aujourd’hui de 5000 à 7000€ pour le développement de la signalisation bilingue français/alsacien, et l’argent investi venant bien souvent de subventions régionales et européennes ne l’est pas seulement pour le travail de traduction, de fabrication ou d’installation ; tout un travail de transmission orale est effectué auprès de la population, notamment chez les personnes les plus âgées capables de fournir des témoignages importants au sujet de la toponymie germanophone. Un panneau bilingue n’est donc pas seulement un plus pour le patrimoine, la culture ou l’économie, c’est un plus pour le social et le sociétal à travers la continuité du lien intergénérationnel, par la réappropriation d’une culture ancestrale par les plus jeunes. Cette vision vient contrer les idées fausses d’une signalétique bilingue qui, du jour au lendemain, se développerait de façon tentaculaire à un prix exorbitant. Elle aurait même le don de faire s’égarer bien des gens incapables de lire un panneau français/alsacien alors que ces derniers se repèrent facilement dans une gare comportant des panneaux français/anglais/allemand.

Une place à prendre dans l’Histoire
Visibilité de la culture et du patrimoine linguistique dans l’espace public, atout touristique indéniable, attractivité du territoire, liens sociaux, économie de proximité, soutien à l’industrie ; chaque commune franc-comtoise doit comprendre que les langues régionales servent leurs intérêts. La route à suivre est donc indiquée depuis longtemps, pour les communes audacieuses qui souhaitent prendre dès maintenant une place privilégiée dans l’Histoire, et ça, dans les trois langues nationales de la Comté, l’une sur l’autre et de même caractère comme sur un panneau trilingue en bonne et due forme.

 

Illustration d’en-tête : Plaques de rue à Nans-Sous-Saint-Anne (Doubs), signalant la route du pont du Diable et français/arpitan.

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