Depuis plusieurs années, familles de victimes, militant·e·s des droits humains, riverain·e·s et habitant·e·s, dénoncent la situation autour de la boîte de nuit « le QG » à Besançon. Sans jamais avoir été concrètement entendu·e·s des pouvoirs publics et des grands médias, jusqu’à très récemment. Après la mort de Seïf Boulazreg en 2022 et la disparition de Madjid Ahamadi en 2023, le tabassage mortel de Mérick Mathoré il y a quelques jours a fait pencher la balance. Un énième drame, qui a amené la réaction d’une Préfecture jusqu’alors vue comme complaisante.
Autorités et médias longtemps mutiques
C’est en 2022 que la discothèque « le QG » entre dans la lumière, sous un jour peu enviable. Dans la soirée du 24 juillet, l’un des gérants prend en chasse un jeune client turbulent, expédition qui amènera à sa chute fatale. Comment un professionnel aguerri a-t-il pu organiser la traque, armé, dans l’espace public, d’un gamin en fuite, à pied, seul, signalé comme alcoolisé, éreinté par sa course-poursuite, laquelle se déroulera sur cinq cents mètres, avec traversée d’un cours d’eau et d’une route nationale, jusqu’à aboutir, en pleine nuit, dans les bois, à flanc de falaise, à sa mort ?
Mais administrations et rédactions locales s’obstineront à dénier tout sujet, s’acharnant contre quiconque osait émettre ne serait-ce qu’une interrogation sur cet enchainement. Ce sont ainsi des références indépendantes qui ont sorti ce qui deviendra l’affaire Seïf Boulazreg, sous le feu croisé du Parquet et de « l’Est Républicain ». Un journaliste a même été inquiété au pénal, à l’occasion d’une procédure-bâillon que le quotidien pourtant friand de chroniques judiciaires n’a pas couverte. Avec une décision de relaxe immédiate, il est vrai que le narratif « officiel » en prenait un sacré coup.
Depuis, les dossiers tragiques se sont succédé. Le 19 novembre 2023, survient la disparition de Madjid Ahamadi aux abords de la boîte, avec de multiples zones d’ombre ; le 8 novembre 2024, c’est un militaire, Mérick Mathoré, qui est tabassé par trois hommes devant l’enseigne, décédant quelques jours plus tard des suites de ses blessures. Alors que le bras de fer entre les riverain·e·s et « le QG » était relancé, cet ultime drame emporte la conviction de la Préfecture du Doubs ; Une fermeture administrative est actée, pour une durée d’un mois. Beaucoup trop tard, pour bien des voix.
Une liste interminable d’incidents
Lors de son procès le 7 avril 2023, le correspondant incriminé n’avait pourtant pas manqué de soulever une liste d’incidents documentés dès 2022 : Une bagarre entre bandes le 4 mars, des violences visant pompiers et policiers le 21 mai, ou encore des tirs le 18 juin, n’en étaient que quelques illustrations. Une réalité couplée à de lourdes critiques quant à la sécurité de l’établissement, les avis « Google » renseignés par la clientèle dépeignant l’usage inapproprié d’une arme, une situation qualifiée de séquestration, ou des comportements véhéments et discriminatoires.
« Je me suis fais tirer les cheveux violemment par le videur, on me maltraite et je me prends un coup de gazeuse dans la bouche » ; « La boîte est dangereuse, le personnel désagréable et incompétent » ; « Faut revoir la sécurité » ; « J’ai réussi à sortir en menaçant la sécurité d’appeler la gendarmerie pour séquestration » ; « Service de sécurité déplorable » ; « Videurs qui dégagent qui ils veulent » ; « Les forces de l’ordre sur le parking tolèrent que des gens squattent assis sur ma voiture, en roulant leurs joints » ; « Sexisme » ; « Homophobie » ; était-il notamment exposé en 2021-2022.
La population alors rencontrée dénonçait elle aussi clairement ce même climat, ainsi qu’en a attesté une mère de famille : « Après de longues discussions réalisées durant des mois avec des clients et du personnel, il s’est avéré que l’usage de la violence était en fait banalisé et systémique. Une véritable politique de la maison, connue et assumée des gérants. Malgré de nombreuses alertes auprès des pouvoirs publics (Mairie, Préfecture…), rien ne s’est passé. Pour moi et plusieurs habitants, le drame qui a coûté la vie à un jeune homme le 24 juillet 2022 découle directement de ce contexte ».
Pour les riverain·e·s, une véritable délivrance
À l’époque, certain·e·s mettaient en cause les relations entre un responsable, ancien brigadier de la BAC réputé pour sa brutalité, avec les notables de la ville, haut·e·s-fonctionnaires et gratte-papiers en tête. La Préfecture avançait quant à elle le besoin de respecter des cadres procéduraux clairs, c’est-à-dire de s’inscrire sur des bases factuelles suffisantes et un temps nécessairement long pour trancher du litige. Une volonté de prudence et de contradictoire certes audible, mais qui s’évanouit assez facilement quand il s’agit d’aller « taper » les épiceries et troquets du quartier Battant.
La bienveillance dont bénéficiaient les deux tenanciers « du QG » semble toutefois à son terme, ce que les intéressés ont bien compris. Eux allèguent avoir toujours pris toutes les dispositions possibles pour limiter les nuisances, qu’ils ne contestent pas mais en les considérant surtout établies sur la voie publique et donc sous la seule responsabilité de la police. Après la plainte infructueuse contre un journaliste en 2023 puis un recours perdu au tribunal administratif cette année, leur riposte s’étend désormais à l’opinion via une pétition signée par les salarié·e·s, habitué·e·s et soutiens.
Reste qu’à Tarragnoz, administré·e·s et commerçant·e·s retiennent leur souffle. Aucun·e ne souhaite laisser apparaître un nom ou un visage, par peur des représailles. Mais toutes et tous exultent de ce dénouement, qu’ielles voudraient définitif. « Depuis que le QG est fermé, je revis. Les déambulations, les actes de vandalisme, les agressions sordides, c’est terminé pour un temps. Ces prochaines nuits, je vais enfin pouvoir les passer sereinement. Il a fallu encore un mort pour que la Préfecture se bouge, mais c’est fait. Ici, on espère que ça ne sera pas qu’une parenthèse » nous déclare ainsi l’une d’elles.
Illustration d’en-tête : Collage réalisé aux abords « du QG », dans la nuit du 30 au 31 juillet 2022.