Le monde a bien changé et les traditions de Noël aussi. Depuis plusieurs décennies, les marchés de Noël, le sapin, la couronne et le calendrier de l’Avent ont débordé de leur berceau germanique et tout un imaginaire en provenance des États-Unis d’Amérique s’est installé. Cette comtoiserie, la huitième, est donc une spéciale Noël et c’est l’occasion de découvrir trois traditions emblématiques des festivités de la Nativité en Franche-Comté, appelées à se réinventer et qui ont un lien avec nos langues régionales, notamment le franc-comtois.
Le Jean Bonhomme
Incontournable pain au lait ou brioche de la Saint-Nicolas – le 6 décembre – le Jean Bonhomme est une tradition bien vivante de la période de l’Avent, notamment dans le Nord Franche-Comté.
Jean Bonhomme, quel drôle de nom ! Mais d’où vient-il ? Pour comprendre son origine, c’est probablement en Lorraine qu’il faut la chercher, là où la légende du XIXe siècle mentionne un certain Jean-Bout-D’homme, sorte de Petit Poucet du pays de Metz. On retrouve ensuite la trace d’un Jean-Bout-D’homme en 1873 entre les massifs des Vosges et du Jura, à Belfort. Le mot désigne cette fois-ci une brioche de Saint-Nicolas. Selon les traditions, la forme humaine de la brioche représenterait Saint-Nicolas ou les enfants ressuscités par le saint. Quoi qu’il en soit, peut-être par le savoir-faire et l’humour de quelques boulangers itinérants à travers les Vosges, la confusion s’est faite entre la taille du Jean-Bout-D’homme lorrain, celle des enfants de la légende de Saint-Nicolas et celle de la brioche. En 1899, dans son ouvrage du Patois de Châtenois, Auguste Vautherin mentionne lui aussi le « Jean bout d’homme », mais aussi, enfin, le « Jean Bonhomme », qu’il dit être un pain d’épices de forme à peu près humaine.
Si le Jean Bonhomme est surtout ancré dans l’imaginaire du Territoire de Belfort, le Pays de Montbéliard et les Vosges Saônoises dont Ronchamp et Lure l’ont aussi adopté depuis longtemps et la tradition veut désormais de le déguster accompagné d’une clémentine et d’un cacao ou chocolat chaud. Aujourd’hui, son influence s’étend vers le sud de la Franche-Comté et vous avez toutes les chances d’être compris si vous demandez un Jean Bonhomme dans une boulangerie de Besançon.
La Tante Arie
Dès la Réforme protestante au XVIe siècle, les territoires germaniques dont l’Alsace voient l’émergence du Christkindel, l’Enfant Jésus, en remplacement du Saint-Nicolas. La Principauté de Montbéliard, d’influence germanique de par ses princes, suivra cette mouvance protestante avec une autre figure, la Tante Arie (lai Tainte Airie en franc-comtois). Bonne fée de Noël qui est dite être l’incarnation d’Henriette de Wurtemberg, descendante de la grande famille comtoise des Montfaucon. Comme Saint-Nicolas, la Tante Arie se déplace avec un âne, une hotte ou des sacs contenant des cadeaux et des friandises, mais elle n’est pas accompagnée d’une figure maléfique car c’est elle-même qui punit, ou plutôt redresse les torts et élève la morale. Dans son glossaire du « Patois de Châtenois », Auguste Vautherin rapporte qu’à la fin du XIXe siècle, la Tante Arie « tourmentait les enfants paresseux, dérangeait les joujoux, embrouillait par petits endroits, les ouvrages qu’on exécutait pas avec assez d’activités ». L’auteur ajoute plus loin que la Tante Arie « visite les fours l’avant veille de Noël, et dérange tous les travaux de femme qui ne sont pas achevés pour cette époque et qui doivent l’être ».
Mais à l’exception de quelques enfants pas sages, la majorité de la population du Pays de Montbéliard et des environs de Belfort et Porrentruy reçoit les bienfaits de la Tante Arie et le folkloriste Désiré Monnier décrit avec justesse et émotion la fabuleuse découverte des cadeaux de Noël par les enfants du Pays de Montbéliard et de l’Ajoie au milieu du XIXème siècle : « une table chargée de joujoux et de mets délicats est préparée dans un appartement. À un certain signal – c’est d’ordinaire la sonnette de l’âne sur lequel vient d’arriver la tante aérienne – les portes s’ouvrent. La tante a déjà disparu ; mais elle a laissé de précieuses marques de sa munificence, et les joyeux croyants se précipitent dans la chambre enchantée pour y recevoir leur part des bontés de leur invisible protectrice ».
La Tante Arie était connue pour avoir de nombreuses résidences, mais aujourd’hui, c’est dans une grotte de Blamont qu’elle semble s’être définitivement installée. Ses apparences sont multiples, certaines personnes l’ont vue de taille gigantesque, d’autres avec des pattes d’oie ou se transformant en vouivre. Mais dans l’hiver naissant, un simple brouillard, des pluies diluviennes ou une tempête de neige peuvent faire jouer bien des tours à l’imagination ! Car les personnes qui l’ont vue furtivement, de près dans la douce lumière d’une lanterne, l’ont décrite comme une jeune femme parlant franc-comtois, portant « lai câle è diairi » et un long manteau à capuche, et avec le pouvoir de voler et se volatiliser subitement avec son âne Marion. Mais cette silhouette bienfaisante aurait pu disparaître avec l’arrivée au XXe siècle d’un personnage tout de rouge vêtu venu d’Amérique du Nord : le Père Noël. Cependant, des poèmes et des chansons ont maintenu la mémoire de la Tante Arie et finalement, le Père Noël est devenu un allié et un ami apportant sa précieuse aide à la distribution des cadeaux dans la nuit du 24 au 25 décembre. Une amitié étalée au grand jour depuis l’émergence du marché de Noël de Montbéliard dans les années 1990, où la Tante Arie et le Père Noël déambulent côte à côte à la rencontre des petits et des grands enfants.
La Crèche comtoise
À l’origine de la Crèche sont les Noëls, un genre littéraire populaire qui, depuis au moins le XVIIe siècle, a été la véritable tradition de Noël de Besançon, mais aussi de Vesoul, d’Arbois, de Salins et même de Vanclans ; tous des lieux de vignobles.
La structure des Noëls étaient généralement la même : des personnages de la société civile, souvent des vignerons, accueillent la Sainte-Famille dans leur ville et se démènent pour offrir un abri convenable à Joseph, Marie et Jésus. Parfois, les bergers et les Rois Mages apparaissent, la foule de fidèles se met en marche pour adorer le Christ et voilà qu’à partir de la Révolution Française, à Besançon, les Noëls littéraires deviennent la Crèche. Cette fois-ci, les personnages sortent des livres et s’animent sous la forme de marionnettes. Voilà l’avènement des célèbres Barbizier, Lai Naitoure, Lou Compâre. Dans leur dialecte franc-comtois, les Bousbots de Battant s’agitent autour de leur centre spirituel, l’église de La Madeleine, dans l’attente de la venue du Sauveur. Puis, dès 1865, nos personnages haut en couleur deviennent humains et s’animent dans une crèche vivante.
Mais avec le déclin de la langue franc-comtoise, les personnes capables de réciter les dialogues et celles capables de les comprendre sont moins nombreuses, ainsi, les représentations se font plus rares. De plus, la Crèche est surtout une tradition vigneronne propre à Besançon et sans le vignoble, décimé par la phylloxéra, l’identification aux personnages et à leur mode de vie en voie de disparition est difficile. Un des rares exemples d’adaptation réussie sera réalisé dès 1922 à Rougegoutte dans le Territoire de Belfort. En 1975, Jean Garneret s’y intéressera, le Foyer Rural Arguel-Pugey la jouera même dans les années 1980, tout comme la Compagnie Manches à Balais qui jouera la Crèche en français jusqu’en 2016. Cependant, sans la saveur du texte original en franc-comtois, la Crèche perd de son intérêt et marionnettes et décors rejoignent le Musée Comtois de la Citadelle.
La Crèche comtoise reste aujourd’hui encore bien ancrée dans les mémoires, mais elle n’est majoritairement plus qu’un souvenir. Pourtant, Barbizier et Lai Naitoure mériteraient bien de réapparaître durant les festivités de Noël à Besançon. Bien sûr, n’est pas Tante Arie qui veut, mais ce sont assurément des personnages de Noël originaux et propres à la capitale comtoise qui auraient tout à gagner à s’inspirer du succès des crèche provençales ou napolitaines pour réinventer une de ses plus authentiques traditions de Noël.
Illustration d’en-tête : La Crèche. Drame populaire en patois de Besançon tel qu’il fut joué en 1873 à la Crèche franc-comtoise. Recueilli d’après les traditions locales. Ms Z 439 – Mémoire Vive patrimoine numérisé de Besançon. Dessin de la page 16.