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Guillaume alias LeRouge, vingt-huit ans, vit au Havre. Ces dernières semaines, il a posé des mots sur un mal qui ronge la société et auquel il est directement confronté. La psychophobie, consistant en une attitude hostile ou oppressive envers les personnes atteintes d’un trouble psychique ou d’une condition mentale non-conventionnelle. Après quelques mots sur « Facebook », le jeune homme s’exprime via « TikTok » et en musique. Mais afin d’exposer ses réflexions sur le sujet, il a accepté que nous reproduisions ses premiers essais.


La psychophobie, un tabou global
J’ai vingt-huit ans, je suis schizophrène et dépendant. La progression de mes dépendances a été stoppée. Pas celle de ma schizophrénie (pour le moment). Pourquoi je raconte ça ? Eh bien parce qu’il existe une discrimination envers le dépendant, comme envers la maladie psychiatrique (les deux étant liés). Ça s’appelle la psychophobie. La psychophobie peut s’exprimer de différentes manières, en HP (Hôpital Psychiatrique), dans la famille, dans les cercles d’amis etc. En bref, la société est articulée de façon à dénigrer au pire ou de faire un tabou au mieux de la maladie psychiatrique. Les clichés fusent quand on parle de psychiatrie. On peut remercier l’industrie du cinéma pour ça. Pour ma part, lorsque les gens apprennent que je suis schizophrène, leur première réaction est la peur. Pourquoi ? À cause du cliché du « fou » prêt à faire n’importe quoi, voire même à tuer sans aucune raison.

Les personnes concernées vous le diront, ce genre de réactions est profondément blessante. Alors, « que faire ? » me direz vous. Bonne question. Dans l’immédiat, je pense qu’il n’y a pas de solution : le cacher, c’est prendre le risque de faire une crise et d’apparaître comme un extraterrestre auprès des gens (ce qui pousse au rejet social), le dire, c’est prendre le risque que, à cause des clichés mentionnés juste avant, la personne nous rejette directement. Dans les deux cas, on est marginalisé. Sur le long terme, en revanche, il y a un travail de crevaison du tabou sur la psychiatrie à faire. Il y a de l’éducation à faire. Des unions à faire. En bref, un travail pour revendiquer notre droit à exister. Il est impensable de marginaliser une personne qui souffrirait d’une maladie chronique. Pourtant, lorsque celle ci est psychiatrique, on peut observer des comportements bien différents.

Marginalisation. Séjour en psychiatrie (secteur qui manque de moyens et où les soignants comme le psychiatre peuvent appliquer des violences psychiatriques) où l’on devient rapidement un zombie cachetonné (camisole chimique), où la moindre révolte envers des traitements odieux et violents est réprimée et se termine par un séjour en chambre d’isolement, où le téléphone est interdit selon les établissements, où une « salle de visite » est mise en place (sûrement pour éviter que les proches du malade voient dans quelles conditions vivent les malades psychiatriques), où il n’y a pas de date de sortie etc. En bref, un cadre où le rétablissement paraît bien compliqué.

Une autre réaction est celle du psy de comptoir : Tu es dépressif ? Fais du sport et sors de chez toi, ça ira mieux ! Tu entends des voix ? Mais c’est dans ta tête, les écoutes pas !… Je pourrais continuer longtemps. En bref, si le malade est malade, c’est de sa faute. Il ne fait pas assez d’efforts. Il est juste « bizarre » et ne veut pas s’intégrer à la société. Le travail de crevaison des tabous et d’éducation aux maladies psychiatriques est un travail autant difficile et de longue haleine qu’il est important. À commencer par le faire dans nos milieux militants.


Maladie psychiatrique et marginalisation
Je parlais précédemment de l’exclusion sociale que subissent les malades psychiatriques. Maintenant, j’aimerais aborder la raison de cette marginalisation qui n’est rien d’autre que… Le capitalisme. En France, un malade psychiatrique ne pouvant pas travailler peut toucher l’AAH (Allocation Adulte Handicapé). C’est mon cas. N’empêche que ce revenu me place tout de même en dessous du seuil de pauvreté. Effectivement, un capitalisme voulant se donner des airs humanistes ne peut pas se permettre de laisser un handicapé sans revenus. N’empêche, le malade psy qui ne peut pas vendre sa force de travail n’est pas un élément productif de la société. On lui donne donc quelques miettes, histoire de se donner bonne conscience et de laisser le malade se contenter du minimum sans revendiquer de nouveaux droits, sans revendiquer être une part de la société. Au mieux, on lui propose de travailler en ESAT, 35h/semaine payé moins que le SMIC dans un entre soi lié aux troubles des « bénéficiaires ».

On en revient à la marginalisation. J’aimerais aussi témoigner de la prise en charge catastrophique de la maladie psychiatrique par l’Éducation Nationale. J’ai arrêté l’école officiellement à dix-sept ans suite au développement d’une phobie scolaire. En réalité, je n’allais presque plus en cours depuis mes quinze ans. On m’a proposé un emploi du temps adapté, mais sans me proposer de soins adéquats. On m’a proposé la Clinique-Étude mais bien évidemment mon dossier a été égaré et, ayant passé dix-huit ans, l’intégration du dispositif n’était plus possible. De toutes façons, cette structure ne prépare aucunement à la pression des études supérieures ou à la violence du monde du travail. J’ai donc erré dans mon quartier de nombreuses années et suis devenu alcoolique et toxicomane. Remonter la pente a été un véritable parcours du combattant. Encore une fois, j’ai été marginalisé.

Les cercles d’amis n’échappent pas à cette règle. La dépendance à la drogue (alcool compris) est monnaie courante chez les schizophrènes (70% de dépendants). Je ne vous apprendrai sûrement rien en vous disant que maladie psychiatrique et défonce ne font pas bon ménage. J’ai aggravé mes troubles par ma consommation de toxiques et ai consommé des toxiques pour supporter la violence de mes troubles. Un cercle vicieux. Résultat ? Trop instable pour garder un cercle d’amis bienveillant. Trop incompréhensible pour être accepté. Une nouvelle fois : marginalisation. Vous connaissez sûrement l’adage « qui se ressemble s’assemble ». Il n’a jamais été aussi vrai pour moi. Alcoolique et toxicomane, je côtoyais des alcooliques toxicomanes. Cela m’a valu des jugements très durs de la part de mes « vrais amis » qui ne voulaient plus entendre parler de moi. Toujours par méconnaissance des troubles dont j’étais atteint. Aucun n’a cherché à comprendre. Une énième fois : marginalisation.

Pour conclure, tout est mit en place pour que le malade ne s’intègre pas à la société. Tout est mit en place pour créer un entre soi malsain et repousser les malades dans leurs retranchements les plus sombres.

Maladie mentale et déni
La maladie psychiatrique étant un sujet tabou avec son nombre de clichés, le diagnostic peut parfois être un coup de massue et très difficile à accepter. C’est là qu’on rentre dans le déni de la maladie mentale. Je suis suivi psychiatriquement depuis mes treize ans. Je n’ai commencé à accepter ma schizophrénie il y a très peu de temps. Pour les raison évoquées dans le premier paragraphe, mais aussi à cause des violences psychiatrique que j’ai pu subir en HP. J’ai rejeté la psychiatrie, le traitement et je n’ai jamais admis que j’avais un problème d’ordre mental. J’aurais tellement voulu être dans la « norme », ne pas souffrir autant…

Tellement que je suis rentré dans le déni de ma maladie mentale. Le problème venait des autres, pas de moi. J’ai aggravé cette maladie avec la drogue et l’alcool. Pourquoi m’en priver ? Après tout j’étais normal et je n’avais plus de traitement. Quelle erreur… J’insiste lourdement là dessus . Quand on est malade psy, le mélange avec la drogue et l’alcool est explosif et peut mener à des extrémités où personne ne veut aller. Les gens « sains d’esprit » ne peuvent pas imaginer la souffrance que peut ressentir un malade psy… Ils ne peuvent pas la comprendre… Et je vais m’attarder sur ce point. Lorsque l’on a un proche malade psy, il existe des numéros gratuits comme celui de l’UNAFAM qui permettent aux proches d’appréhender la maladie d’une meilleure manière.

Vous l’aurez compris, ce post fait suite aux derniers : la conséquence de la psychophobie et du tabou peut conduire un malade qui pourrait se contenter d’un traitement adapté et de rendez-vous avec un psychiatre à l’HP au mieux, à la mort au pire. Vous, les proches, avez aussi un rôle à jouer.


Maladie psychiatrique et solitude
De nombreux malades psy ne sont pas en état de travailler. On leur propose donc l’AAH pour subsister. Mais l’argent est il le remède à tous nos maux ? Bien sûr que non. Ceux qui réussissent à avoir un cercle d’amis « stables » côtoient des gens… Qui travaillent pour le coup. Il peut donc se passer de longs moments de solitude où l’on cogite parfois un peu trop à en rendre la réflexion malsaine et provoquer une crise. Je ne parlerai pas des amis également malades psy car, sauf quelques exceptions, nous avons tendance à nous tirer vers le bas mutuellement et de créer un communautarisme malsain basé sur la peur des gens « normaux ».

Dans les gens « normaux » avec qui nous essayons d’être amis, une barrière se dresse : ces personnes répondent à une norme, à des codes sociaux qui nous sont parfois étrangers. Ce manque de codes sociaux peut rapidement créer un malaise et nous donner l’inverse de ce que nous recherchions : l’exclusion sociale. Le cercle d’amis potentiels est donc particulièrement restreint. Tout le monde n’a pas le temps/l’envie de se renseigner sur les maladies psychiatriques et sur comment les appréhender. La seule solution que je vois pour palier à cette solitude qui rend certains d’entre nous encore plus instables que nous ne le sommes déjà, ce sont des cours de sensibilisation aux maladies psychiatriques prévus dans le programme scolaire.

Certains d’entre nous mettent fin à leurs jours par souffrance psychiatrique mêlée à la solitude. Nous avons le droit d’exister. Réagissons.

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