Durant l’été 2018, coup de tonnerre. La capitale comtoise promulgue un « arrêté anti-mendicité » en catimini, prévoyant notamment de prohiber les « regroupements » et la « station assise » dans les artères du centre-ville. Derniers soubresauts controversés d’une ère Fousseret débutée en 2001, la mesure avait toutefois été parafée par le reste de sa majorité municipale, bien marquée à gauche. Une approbation comprenant l’adjointe au « cadre de vie », une certaine Anne Vignot. Face à la polémique, celle-ci finira par émettre des regrets et demander le retrait du texte. Devenue maire le 3 juillet 2020, la première édile et ses équipes ne réitéreront pas une offensive aussi assumée.
Mais loin des coups d’éclat, reste une politique de la ville qui s’inscrit pleinement dans cet état d’esprit. La revue locale et indépendante « Charivari » dénonçait ainsi cet horizon dès 2007, analysant les transformations à l’œuvre dans les quartiers de la Boucle et de Battant : « Des ingénieurs inventèrent – figures de l’aménagement – des bancs où il est impossible de s’allonger. L’avantage est que l’impossibilité n’est pas produite par une interdiction – mais par un dispositif technique. L’ordre est masqué, incorporé dans le matériel urbain, relégué au plus loin de l’humain ». Une quinzaine d’années plus tard, ce descriptif est-il toujours valable concernant le mandat en cours ?
Ouvrages sépulcraux à Pasteur, sièges barrés sur Chamars, rangées en demi-cercle quant à Huit-Septembre… Jusqu’aux « appuis ischiatiques » ou « assis-debout », innovation apparue à partir de 2013 sur une dizaine de rues. Dans le cœur historique, les « traditionnelles banquettes » ont aujourd’hui presque disparu. Une aseptisation de concert avec le parc privé, pots de fleurs et autres barrières de plexiglas achevant parfois d’entraver toute occupation indésirable. Une frénésie qui se généralise à l’ensemble de la cité, suivant la ligne du tramway comme à Flore, ou s’incorporant dans les zones « i-tech » à l’instar de l’UFR-Santé des Hauts-du-Chazal.
Ces équipements ne sont pas tous apparus ces dernières années, et ne relèvent pas toujours d’une volonté seule d’administration martiale des espaces. Mais des emplacements bucoliques place de la Révolution à la rue Gambetta piétonnisée, la nouveauté s’accommode des nouvelles normes en vigueur. Cette « prévention du crime par l’environnement et le design » est apparue dans les années 1990, avec pour base les travaux de Jane Jacobs sur la « surveillance naturelle ». Ces dogmes font désormais partie du cahier des charges architecturaux et urbanistiques, visibles dans les « éco-quartiers » ou à travers l’explosion des voies semi-privées et collectifs « voisin·e·s vigilant·e·s ».
Illustration d’en-tête : Aperçu de la rue Léon Gambetta, rénovée et piétonnisée en mai 2024. Les bancs réalisés sont typiques des nouvelles normes urbaines en vigueur, leur taille et emplacement pouvant les faire confondre avec des barrières.