Nous voilà en 2025 ! Une année importante pour la langue franc-comtoise puisqu’elle marque les 500 ans de son premier texte connu : le Chant du Rosemont.
Composé en 1525 dans l’actuel Territoire de Belfort, il relate un épisode de la Guerre des Paysans (Deutscher Bauernkrieg en allemand) aux confins de l’Alsace et de la Franche-Comté. L’hymne évoque la chevauchée des montagnards d’Genéry (Jean Neury) et Reucha Preveux (Richard Prévôt) menant la révolte de 15 000 paysans contre la seigneurie du Rosemont.
Longtemps resté confidentiel à la tradition orale de la vallée qui mène de Belfort au Ballon d’Alsace, le chant est redécouvert au XIXe siècle, époque d’intérêt majeur pour l’étude du folklore et des traditions populaires. Une parution inédite est alors proposée par Henry Bardy en 1853 dans une notice nommée Le Folk-lore du Val de Rosemont. Deux ans plus tard, le texte apparaît dans l’ouvrage Histoire pittoresque et anecdotique de Belfort et de ses environs, rédigé par Auguste Corret. Il mentionne alors que « cette romance commence à se perdre. Elle semble avoir été légèrement altérée en passant de bouche en bouche ». En effet, le Chant du Rosemont est collecté de la voix même de plusieurs personnes parmi les plus âgées de la vallée, et celles-ci proposent parfois des versions légèrement différentes.
En 1866, un autre auteur, Edouard Bonvalot, édite l’épique chevauchée dans son livre Les coutumes du Val de Rosemont. Dès lors, la datation du chant du Rosemont est débattue pendant plusieurs décennies et son authenticité est même remise en cause. Mais pour les personnes qui considèrent le texte comme authentique, le Chant du Rosemont est alors vu comme une chanson du XVIIe siècle faisant référence à la Guerre de 30 ans. De ce fait, la ballade est parfois appelée Les Suédois. Mais en 1927, un autre passionné de l’histoire belfortaine, le juge Ferdinand Schaedelin, retrouve la trace du fameux d’Genéry et cela l’emmène à reconsidérer la datation du Chant du Rosemont à l’année 1525.
Le plus vieux texte connu de la langue franc-comtoise se forme donc sur 18 strophes, avec la particularité que le dernier vers de chaque strophe se répète pour devenir le commencement de la nouvelle strophe :
Ço d’Genéry de Vescemont, que Due le boute en gloire,
Al o vortchie tros djous, tros neus por rassembia son monde.
Al o vortchie tros djous, tros neus por rassembia son monde.
Adue vue die, Reucha Preveux ! veus qu’a veute bonnîre ?
Adue veu die, Reucha Preveux ! veus qu’a veute bonnîre ?
– Neu l’en layie là dedans Tcha, dedans Tcha la djeulie ;
Mais voici une version simplifiée de la chanson au complet, reprenant la graphie de 1855 par Auguste Corret :
Ço d’Genéry de Vescemont, que Due le boute en gloire,
Al o vortchie tros djous, tros neus por rassembia son monde.
Adue vue die, Reucha Preveux ! veus qu’a veute bonnîre ?
– Neu l’en layie là dedans Tcha, dedans Tcha la djeulie ;
Où ia laichie cinq cents pietons por vadjai la bonnîre.
Dechu la breutche di Vadeau neu ranscontran dé mires.
Et tant pietons que cavailies neu-z-étins quinze mille.
– Détchassie vos, coqs de Béfô, por pessa la revîre ;
Cé qui n’saront pessa lou pont pessrant dans la revîre.
Regaidje en hâ, regaidje en bé, ne sa qué tchemin panre ;
Al an tirie en contre vâ, devé lai croux de pîre.
Dechu la breutche des Ainans neu-z-an repris la pridge,
Tos les pos et tos les motons, tote la boirdgerie.
Al ou piqua s’tchouva moirat por satai lai bairîre.
Son tchapai a tchu en dèrie, no voyu le recudre.
Tos lais dgens de Djéromingny tchaulins quement des andges,
Et tos cé de Serminmingny brelins quement des tchîvres.
S’il avint pessa poi Angeot, revnu poi Larivîre,
Tos les afants di Rosemont srint tos avu des chires.
Nouvelle traduction en français :
C’est Jean Neury (Jean André) de Vescemont, que Dieu le mette en gloire
Il a farfouillé trois jours, trois nuits pour rassembler son monde.
À Dieu vous dis (Que Dieu vous garde) Richard Prévôt ! où est votre bannière ?
– Nous l’avons liée (ou laissée) là dans Chaux, dans Chaux la jolie.
Où on a laissé cinq cents piétons pour garder la bannière.
Dessus le ponceau (petit pont) de Valdoie nous rencontrons dix mille
Et tant piétons que cavaliers nous étions quinze mille.
– Déchaussez-vous Coqs de Belfort, pour passer la rivière.
Ceux qui ne sauront passer le pont, passeront dans la rivière.
Regarde en haut, regarde en bas, ne sait quel chemin prendre
Ils ont tiré à contrebas, devers la croix de pierre.
Dessus le ponceau (petit pont) des Ainans, nous avons repris la prise.
Tous les porcs, tous les moutons, toute la bergerie.
Il a piqué son cheval morel (noiraud), pour sauter la barrière
Son chapeau est tombé en arrière, nous voulions le recevoir
Tous les gens de Giromagny, chialaient (ou chantaient) comme des Anges
Tous les gens de Sermamagny, bêlaient comme des chèvres
S’ils avaient passé par Angeot, revenu par Larivière
Tous les enfants du Rosemont seraient tous été des sirs (seigneurs).
Il y aurait beaucoup à dire sur ce texte, ne serait-ce que pour comparer les différentes versions et analyser leurs particularités, mais il faudrait plus qu’une simple comtoiserie pour cela. Cependant, fait intéressant, le texte mentionne plusieurs communes encore existantes : Vescemont, Tcha (Chaux), Vadeau (Valdois), Béfô (Belfort), Djéromingny (Giromagny), Serminmingny (Sermamagny), Angeot et Larivîre (Larivière).
Paradoxalement, le premier texte connu en franc-comtois fait référence à une guerre qui a pu faire disparaître des textes bien plus anciens et dont l’existence est une certitude. Cependant, du XVIe siècle est peut-être issue une autre chanson : Lou Bon An. Chant célébrant la nouvelle année, interprété à Montbéliard avant 1662. Et si le Chant du Rosemont et la chanson Lou Bon An se suivaient donc de quelques décennies, il faut attendre 1668 pour trouver un troisième texte considéré comme l’un des plus anciens de la langue franc-comtoise : le dialogue de Porte Noire et Pilory sur la prise de Besançon par les François.
Mais aujourd’hui, 500 ans après les exploits – chantés en franc-comtois – de Jean Neury et Richard Prévôt, on ne sait toujours pas si le Chant du Rosemont aura le droit aux honneurs en Franche-Comté. À l’heure où est publiée cette comtoiserie, aucune association ni institution ne semble avoir prévu de célébrer l’évènement. Alors espérons au moins la traduction d’un livre jeunesse afin de rester dans les thèmes de la littérature et de la transmission, et qui sait, peut-être aura-t-elle le droit, elle aussi, à un article élogieux en 2525.
Illustration d’en-tête : Auguste Corret, 1855, « l’Histoire pittoresque et anecdotique de Belfort et ses environs » – capture d’écran.