Le 6 janvier 2025 à Paris, une audience hors-norme s’est ouverte. Nicolas Sarkozy, ancien chef de l’État, Brice Hortefeux, Claude Guéant et Eric Woerth, ses trois ministres de l’époque, ainsi que Ziad Takieddine et Alexandre Djouhri, deux intermédiaires, sont en effet jugés dans l’affaire dite du financement libyen de la présidentielle. Un dossier politico-financier majeur en France, révélé par « Mediapart » à partir du 12 mars 2012. Le journal d’investigation est justement au cœur d’un documentaire qui vient de sortir sur le sujet, afin de dénouer ce dossier complexe et de rappeler le combat mené depuis des années par la presse indépendante. Projeté au cinéma d’art et d’essai Victor Hugo de Besançon jusqu’à mardi prochain, l’œuvre y a été défendue par Edwy Plenel.
« Personne n’y comprend rien ». Pendant 1h45, le film plonge dans l’un des plus grands scandales de la Ve République. Nous sommes en 2007, Jacques Chirac ne se représentera pas. Alors que son ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy rêve de gagner l’Élysée, celui-ci serait passé par le dictateur Mouammar Kadhafi pour parvenir à ses fins. Une somme de cinquante millions d’euros lui aurait ainsi été allouée, afin de l’aider à concrétiser cette ambition suprême. Ce qui lui vaut de répondre, aujourd’hui, de corruption passive, recel de détournement de fonds publics et financement illégal de campagne électorale. Le mis en cause doit désormais affronter un procès-fleuve sur ces accusations, après avoir été déjà condamné définitivement pour « corruption » dans un volet annexe.
C’est d’abord cette histoire que le réalisateur Yannick Kergoat a repris, sous l’angle de l’enquête lancée par Fabrice Arfi et Karl Laske. Mais les nombreux soubresauts interviennent rapidement, tant les controverses et procédures parallèles se sont multipliées. Y compris contre « Mediapart », attaquée par le clan Sarkozy. C’est ce qu’est venu expliquer Edwy Plenel, fondateur du quotidien, sur place ce jeudi soir, pour en débattre. Un évènement dans la capitale comtoise, affichant complet. Mais les moins veinard·e·s pourront toujours revenir, d’autres séances étant proposées vendredi 17, samedi 18, lundi 20 et mardi 21 à 18h00, ainsi que dimanche 19 janvier à 20h00. Une offre notable, quand certaines villes s’avèrent limitées par une distribution exclusivement mainstream.
Toufik-de-Planoise
Dans la salle d’audience
Depuis le début du procès, le 6 janvier dernier, tous les lundis, mercredis et jeudis à partir de 13h30, la salle Victor Hugo du tribunal Judiciaire de Paris, salle dédiée aux grands procès médiatiques, est comble. Près de 50 journalistes y assistent quotidiennement et coté public les bancs sont aussi pleins.
Les audiences, menées par Nathalie Gavarino, magistrate qui présidait déjà lors du procès Fillon, commencent à prendre la direction des méandres profonds de cette affaire tentaculaire. Alors que celle-ci se montre plutôt calme lors de ses questions et interventions, les procureurs du Parquet National Financier (PNF), représentant le Ministère Public, se montrent eux beaucoup plus incisifs, provoquant parfois des éclats de voix de la part des prévenus et de leur défense. Le public venant assister aux audiences semble captivé par les débats. Ceci pourrait sembler une évidence au regard des fonctions qu’ont exercées les prévenus et de ce qui leur est reproché, mais l’affaire est tellement complexe que lorsqu’on ne la connait qu’en surface, il est difficile de faire le lien entre tout ce qui se dit.
Pour autant, en dehors de la salle d’audience, on croise aussi bien des personnes habituées des tribunaux, que des personnes qui n’en sont pas coutumières. C’est le cas de Clément, qui après avoir vu le film « Personne n’y comprend rien » s’est rendu pour la première fois à une audience ce 16 janvier. Une audience pas anodine puisqu’il était question « de la personnification des intermédiaires » lors de l’interrogatoire de Claude Guéant. Ce qui le surprend « c’est le degré de questions qui remontent à très longtemps, à 2002 voire avant, et aussi tout le travail de reconstitution et de pédagogie qui a été fait ». Il relève et est surpris d’entendre « la distinction qui est faite entre le “off ” qui peut exister en diplomatie et le “on” ; entre les circuits officiels et ceux non officiels, de fait pas reconnus, mais qui sont là, nécessairement abordés à l’audience ».
Aussi, en cette fin de deuxième semaine, la défense de Claude Guéant commence à vaciller lorsqu’il est évoqué un dîner, qu’il qualifie lui de « traquenard », avec le terroriste Abdallah Senoussi, le 1er octobre 2005 en Libye, quelques jours avant la rencontre de Nicolas Sarkozy avec Mouammar Kadhafi sous sa tente bédouine. Dans les prochaines semaines, le tribunal devra trancher, entre autres, si la levée des poursuites pénales contre Abdallah Senoussi, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité par la France dans son rôle dans l’attentat du DC-10 d’UTA qui a coûté la vie à 170 passagers dont 54 français, aurait pu être une des contreparties de financements libyens.
Antoine Mermet
Illustration d’en-tête : (de gauche à droite) Eric Woerth, Brice Hortefeux, Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, prévenus, arrivant à leur procès, le 16 janvier 2025 – Antoine Mermet.