57160140 1277634069053899 4854786974176772096 N (copie)

Alors que le gouvernement Bayrou est parfois considéré comme le plus à droite qu’ait connu le pays depuis Vichy, les opérations de traque aux « sans-papiers » se multiplient. Entre initiatives personnelles, consignes des autorités et lepénisation des esprits, cette frénésie s’installe désormais aussi à Besançon. Un témoin a décidé de se livrer au Ch’ni, « pour que tout le monde sache vraiment de quoi il s’agit ». Loin de l’image d’Épinal distillée par les relais officiels, ces embuscades s’avèrent pour le moins brutales. Une offensive de terrain, couplée sur le fond à la politique restrictive menée par diverses administrations locales.

«  Il fallait que personne ne puisse rapporter ces pratiques »
Jeudi 6 février vers 14h00, gare de Besançon-Viotte. Venue depuis le quartier Saint-Claude, Sarah (*) traverse le pôle ferroviaire afin de gagner Battant. Dans ce sous-terrain qui concentre la quasi-totalité des flux, elle s’arrête net. « Devant moi, il y avait une vingtaine d’uniformes qui ont bloqué la circulation d’un coup. Deux TGV venaient d’arriver, en provenance de Paris et Lyon. Un blocus et un tri se sont alors organisés, avec un contrôle systématique des personnes non-blanches ». Effarée par cette scène, elle tente alors de sortir son téléphone portable. Elle aura à peine le temps d’activer son appareil, qu’un policier de la « Brigade Anti-Criminalité » (BAC) l’arrête.

« Sous le prétexte d’un contrôle d’identité, cet agent m’a tout de suite empêchée de filmer et m’a isolée. Visiblement, il fallait que personne ne puisse rapporter ces pratiques. J’ai quand même observé ce qu’il se passait en face de moi, complètement horrifiée. À peine sorti du train, tout individu racisé devait ainsi se soumettre à un examen. Les documents étaient vérifiés avec une torche, pendant qu’un policier photographiait certain·e·s interpelé·e·s comme si c’était des bêtes. Une femme seule, en pleurs, voulait appeler sa famille, on lui a arraché son mobile des mains. Elle a d’ailleurs été embarquée avec un autre couple, on ne sait pas du tout ce qu’ielles sont devenu·e·s ».

Cette mission a été réalisée sous l’égide de la « Police aux Frontières » (PAF), un service dédié à la surveillance et la répression des étrangers/étrangères. Si l’administration existe depuis longtemps, elle s’est récemment décidée à exposer ses « exploits ». Une commande bien sûr confiée aux habituel·le·s communicant·e·s de « l’Est Républicain » – propriété de la multinationale bancaire « Crédit Mutuel », qui se sont alors attaché·e·s à offrir une promotion laudative entre comptes-rendus arrangeants et portraits de complaisance. Expurgé de descriptifs gênants, du récit des « targets » ou de leurs proches, la sale besogne devient alors un sujet classique, presque glamour.

Dsc 0267(1)
Le 14 janvier 2024 à Besançon, plusieurs centaines de personnes avaient manifesté contre le projet de « loi Darmanin ».


Préfecture et Département, carburants de ce rouleau-compresseur
Parfois, les choix opérés par certaines administrations alimentent directement ce rouleau-compresseur régalien. À la Préfecture du Doubs, le recours aux « Obligations de Quitter le Territoire Français » (OQTF) aurait ainsi dernièrement explosé. « Nous sommes dans la vie locale depuis de nombreuses années, mais cela fait environ un an que la situation semble complètement dériver sur ce point. La Préfecture distribue massivement des OQTF, parfois de manière choquante. On a des gens qui sont là depuis presque dix ans, qui ont des enfants, qui ont toujours travaillé, à qui on dit, sans fondement réel, vous devez partir dans quelques jours » confient deux élu·e·s de Planoise.

Mêmes reproches concernant le conseil départemental du Doubs, tenu par une majorité « les Républicains » (droite/extrême-droite). Les associations comme « Solidarité Migrant·e·s/Réfugié·e·s » (SolMiRé) ne cessent d’alerter quant au sort des « Mineur·e·s Non-Accompagné·e·s » (MNA), en particulier concernant leur reconnaissance légale. « Ces jeunes sont laissé·e·s à la rue, au motif que les instances compétentes ne reconnaissent pas leur minorité. Il faut alors passer par le tribunal, mais entre les délais devenus insupportables et le rejet de pièces qui se systématisent, il devient de plus en plus difficile d’arracher une décision favorable » se lamente une bénévole historique.

Place Marulaz encore, un militant altermondialiste abonde : « Il est aujourd’hui question d’attaquer le droit du sol, d’abord à Mayotte puis sur le reste du territoire. Après avoir bien modelé l’opinion dans le sens voulu, cette abjection inédite depuis Pétain pourrait passer par référendum. N’oublions cependant pas qu’entre deux actualités fracassantes, les pouvoirs publics s’adaptent, limite sans bruit, au brun ambiant. Ici, plusieurs centaines de manifestant·e·s s’étaient dressé·e·s contre la loi Darmanin fin 2023/début 2024, il faut reprendre la mobilisation. Mais sans omettre le quotidien, où des chaînes de soutien et de solidarité sont plus que jamais nécessaires pour essayer de résister ».

Sur Dijon, un nouveau « centre de rétention administrative »

En Bourgogne/Franche-Comté, il n’existe pas encore de « Centre de Rétention Administrative » (CRA). Arrêté·e·s dans la région, les étrangers/étrangères visé·e·s par une procédure d’éloignement forcé doivent donc être conduit·e·s à Lyon, Strasbourg ou Metz. Mais cette absence devrait être prochainement comblée, à travers la construction d’un site engagé sur l’ancienne base aérienne de Longvic. Un projet dont la livraison est prévue fin 2026/début 2027, afin de procéder à l’enfermement de quelque 140 détenu·e·s sans-papiers ou frappé·e·s par une OQTF. Le dessein suscite néanmoins une levée de boucliers, notamment avec la constitution d’un « collectif anti-CRA ».

 


(*) Le prénom a été modifié.

Illustration d’en-tête : Un policier posté au niveau de la gare de Besançon-Viotte, lors d’une manifestation des « gilets jaunes » le 15 avril 2019 – archives TdP.

À lire aussi