Diffamation publique, atteinte à la vie privée, travail dissimulé… À ce passif édifiant, « l’Est Républicain » pourra maintenant ajouter une condamnation pénale pour « non-publication d’un droit de réponse » (loi du 29 juillet 1881, article 13). C’est ainsi que vient juste d’en décider la cour d’appel de Besançon, confirmant une décision de première instance rendue à propos d’une affaire opposant le quotidien à un journaliste indépendant. Outre l’insertion d’un texte soumis par ce dernier, entre-temps exécutée sous peine d’astreintes, la société et son responsable légal, Christophe Mahieu, écopent d’une amende de 500 euros avec sursis et devront également s’acquitter de 3 000 euros de dommages et intérêts, ainsi que de 1 800 euros de frais de procédure. Une issue historique, en matière de jurisprudence comme de liberté d’expression.
Note de rédaction : Le présent article retranscrit une affaire dans laquelle le directeur de la publication et rédacteur du Ch’ni, Toufik-de-Planoise, est directement concerné. Afin d’être transparent sur l’identité du journaliste indépendant à l’origine de la procédure judiciaire, il paraissait essentiel de préciser ce point.
La filiale d’une multinationale bancaire, peu regardante avec elle-même…
Prolixe quand il s’agit de conter les démêlés des un·e·s et des autres, le journal « l’Est Républicain », bien connu de la justice, l’est beaucoup moins quant à ses propres déboires. Ce jeudi 20 février, une issue très attendue en droit de la presse venait pourtant d’être tranchée. Mais dans les colonnes de la propriété du « Crédit Mutuel », impossible d’en trouver le moindre compte-rendu ! Et pour cause… L’histoire commence le 27 juillet 2023, lorsque le canard annonce en version papier les poursuites visant un journaliste indépendant. Présent pour couvrir les protestations relatives à une conférence « pro-vie » le 31 janvier précédent, l’intéressé avait en effet été inquiété pour « entrave concertée avec coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations, à la liberté de réunion ». Son nom est abondamment cité, la brève se terminant par une photographie de l’accusé en pleine salle d’audience.
Comme plusieurs autres procès analogues ces derniers mois, les charges vont cependant vite s’effondrer. Alors qu’une relaxe sonnante est prononcée le 10 janvier 2024, un certain Maxime Courché va livrer un récit pour le moins subjectif de l’instruction, des débats et du jugement. Une habitude éditoriale du militant et de son média de préfecture, ce dernier naviguant volontiers entre règlements de compte, emprunts massifs et autres bidouillages à l’encontre des voix jugées trop critiques de ses affaires. Comble du professionnalisme, le rédacteur n’avait même pas assisté au procès et ne s’est pas privé d’exclure le contradictoire. C’est donc via les parties civiles, déboutées, et le parquet, désavoué, que le chroniqueur d’un jour a reconstitué, à sa sauce, les évènements. Cette fois en accompagnant sa prose d’une anonymisation complète du prévenu, son identité étant ainsi censurée.
Mais bénéficiant d’une disposition récente qui accorde à tout justiciable la réouverture du délais de prescription dès lors que son innocence est définitivement acquise, un « droit de réponse » formel va être adressé pour la brève du 27 juillet 2023. Une requête que « l’Est Républicain » refuse catégoriquement d’honorer, sa direction ayant d’ailleurs émis un courrier en ce sens à l’ensemble des antennes locales pour s’assurer d’une déconsidération systématique et généralisée du journaliste indépendant. Consacrant un ostracisme spécifique là où parallèlement partenaire social et petite notable sont admis·e·s même hors-cadres, la mise à l’index devient alors totale et assumée. Un traitement grave dans le métier, mais que le confidentiel et controversé « Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation » (CDJM) refuse de sanctionner, en renvoyant le problème aux seuls prétoires.

« Une citadelle est tombée »
Le différend est ainsi porté devant le tribunal judiciaire de Besançon, un recours rarissime dans ce registre. Maître Octave Nitkowski, conseil parisien du journaliste indépendant, rappelant « le principe général et absolu du droit de réponse ». En défense, Maître Antoine Fittante, du barreau de Metz, pour « l’Est Républicain » et son directeur de la publication Christophe Mahieu, est conscient des enjeux. Récusation de l’emploi d’un nom d’usage officiel, considération d’un manque de pertinence entre la publication et la réaction ne cherchant qu’à entretenir une polémique, texte soumis prétendument trop long, écrits litigieux qui ne constitueraient qu’un « entrefilet » ne recélant « aucune vraie information » et ne pouvant être vus « comme un article » selon la loi… Un plaidoyer de première instance, qui sera réitéré avec l’appel interjeté par le quotidien après sa condamnation du 20 septembre 2024.
« Sur la forme, c’est très difficile d’être dans les critères d’un droit de réponse, c’est pourquoi, même moi, je ne m’y risque pas. La sentence qui sera prise va avoir d’importantes conséquences, elle figurera dans les revues spécialisées. Christophe Mahieu a un casier vierge, je demande qu’il le reste » achevait l’avocat le 12 décembre dernier. Le premier délibéré avait déjà complètement rejeté l’argumentaire, relevant au contraire « une faute » des prévenus, examinée comme « particulièrement préjudiciable » à la partie civile. L’insertion forcée fut alors ordonnée et exécutée dans les 72 heures, au risque d’une astreinte de 500 euros par jour de retard. L’appel confirme largement le raisonnement et le reste des peines, à savoir 500 euros d’amende avec sursis simple, un total de 3 000 euros de dommages et intérêts, ainsi que 1 800 euros pour les divers frais engagés lors des deux audiences.
Depuis sa création en 1889, c’est, à notre connaissance, la première fois que « l’Est Républicain » et son représentant sont reconnus coupables au pénal pour de tels faits. C’est, également, en matière jurisprudentielle, une avancée considérable, le renouvèlement du délais du prescription étant apparemment inédit. Ainsi que l’exposait Maître Octave Nitkowski, lors de son ultime prise de parole le 12 décembre 2024 : « Bien sûr, j’en appelle à ce que la décision de première instance soit confirmée par la cour d’appel. Mais quelle que soit la conclusion finale, une citadelle est tombée ». À cette date, le verdict n’est toutefois pas encore pleinement irrémédiable, puisque Maître Antoine Fittante vient d’indiquer un pourvoi en cassation ; cette chambre de dernière instance appréciera la conformité des règles de droit, épilogue que nous livrerons, le cas échéant, dans une future mise à jour.
Illustration d’en-tête : Enseigne publicitaire de « l’Est Républicain », sur la façade d’un ancien bar-tabac d’Avanne-Aveney.