Passage en revue des origines géographique et étymologique d’une des plus emblématiques préparations fromagères franc-comtoises !

L’origine géographique
Origine antique, conçue dans une ferme d’Oyrières (actuelle Haute-Saône) au XVIe siècle ou même origine extérieure à la Franche-Comté, l’origine de la cancoillotte est encore aujourd’hui très incertaine.

La cancoillotte est donc présente à Bournois (Doubs) en 1874, sur les tables du Pays de Montbéliard en 1876, mais pas encore sur les tables du Territoire de Belfort vingt ans plus tard. Elle est mentionnée à Besançon en 1881 et à Chaussin (Jura) en 1899. En 1913, elle est encore nommée « fromage fondu » par certaines personnes à Pierrecourt (Haute-Saône). Cette appellation de « fromage fondu » a certainement inspiré l’appellation « fondue » qui est celle de la cancoillotte fabriquée et vendue à San Rafael au Mexique, car les familles émigrées de Champlitte avaient emmené la recette avec elles lors de leur voyage de l’autre côté de l’Atlantique, au milieu du XIXe siècle. Champlitte justement, à l’ouest de la Franche-Comté, où l’existence de la cancoillotte est dite fort ancienne. Son influence est telle qu’elle a même été adoptée dans quelques villages de la Champagne et de la Bourgogne. En témoigne ce très surprenant extrait du Vocable Dijonnais de Paul Cunisset-Carnot en 1889 :

« Cancoillotte – préparation nationale faite avec du fromage blanc séché, fermenté et fondu avec du beurre. Le pays de la cancoillotte semble être l’est du département, le canton de Selongey, peut-être de la Haute-Saône. En tous cas, elle est bien acclimatée sur le marché où elle se vend en bols. Mais ce n’est pas là que l’on rencontre la meilleure ; les initiés la trouvent en compagnie de certaines terrines supérieures et de beaucoup d’autres bonnes choses non loin de la place Notre-Dame.

ETYM. Introuvable, cependant, en patois on nomme gaudes ès goillottes un brouet clair de farine délayée dans lequel on cuit des morceaux de pâte ; ces morceaux de pâte qui sont les goillottes, ressemblent assez aux grumeaux de la cancoillotte. Les deux mots doivent avoir la même origine, mais laquelle ? »

La cancoillotte aurait donc été largement consommée jusqu’à Dijon à la fin du XIXe siècle ! Reste à savoir pourquoi sa consommation et sa fabrication ont décliné, surtout que Charles Beauquier mentionne, en 1911, que « ce fromage était jusqu’ici tout à fait inconnu, en dehors de la Franche-Comté. » ? Quelles que soient les hypothèses, tout porte à placer le lieu d’origine de la cancoillotte à l’ouest de la Franche-Comté, à Champlitte notamment, aux limites de la Champagne (Percey-sous-Montormentier en Haute-Marne) et de la Bourgogne (Selongey en Côte d’Or).

Différentes variétés/marques de cancoillotte – Thesupermat/cc-by-sa-4.0.

L’origine étymologique
Comme indiqué dans les lignes précédentes, la conception de la cancoillotte vient d’un caillage de fromage blanc qui s’est asséché et s’est effrité (le fameux metton), et l’idée de le diluer dans de l’eau avec du beurre pour en tirer une substance collante jaune ou blanche s’est imposée. La technique est donc relativement ancestrale et a dû être améliorée avec le temps, ce qui valide en partie la légende d’Oyrières. C’est cette origine que Wikipédia mentionne, et c’est donc le mot cailler (du latin coagulum, coaguler) qui serait à l’origine du mot cancoillotte. L’idée est bonne, mais d’autres pistes existent. Ainsi, en 1866, dans son Glossaire du Patois des Fourgs, Jospeh Tissot mentionne « cocouilli, agiter l’eau en tous sens, y tripoter » et fait le lien avec le mot « gouille » en prenant pour exemple un mot champenois, « sagouiller », voulant dire troubler l’eau, l’agiter. Il mentionne aussi « cafouilli ». Si le mot « gouille » est mentionné, c’est qu’il est lié à l’eau : il désigne une flaque d’eau, une mare, un étang. C’est un diminutif d’un mot celte, « gou », qui est resté dans la toponymie de la Franche-Comté comme le Gour de Conche, Goux-sous-Landet, Goux-les-Usiers. D’autres formes existent comme Gouaille et la Gouaillette (hameau et ruisseau de Salins), le Souillot (hameau de Chapelle d’Huin) ou encore le Touillon (village près de Métabief). C’est donc par le geste de remuer l’eau, de la brasser énergétiquement, que le mot aurait évolué, passant de l’appellation d’un trou d’eau à celle de l’action d’agiter l’eau. Une deuxième définition relevée en 1898 dans la Monographie du Patois du Vaudioux par Joseph Thevenin va dans ce sens : « cacouilli, agiter un liquide avec bruit, ce mot est une riche onomatopée ». Aussi, un autre mot évoqué sur la même page est révélateur de ce brassage de l’eau  : « cacouillaeî, qui cacouille, appelation, par mépris, du fromager ». Le mot est aujourd’hui orthographié cacouillard ou cacouyard, mais le lien entre cacouilli, cacouillard et cancoillotte serait donc logique et expliquerait la préfixe « can » qui ne serait donc qu’une onomatopée.

Mais ce n’est là qu’une partie de la réponse, car elle semble donc être remise en cause par la géographie. Paradoxalement, le verbe « cacouilli » (francisé en « cacouiller ») et le nom « cacouillard » sont attestés en arpitan, dans la langue régionale du sud Franche-Comté, alors que la cancoillotte aurait été conçue en Haute-Saône, plus au nord donc, là où l’on parle franc-comtois et là où certains de ses dialectes de l’ouest sont influencés par le champenois et le bourguignon-morvandiau. Ainsi, de ce qui est de la langue franc-comtoise, parmi les glossaires comtophones les plus importants, Charles Contejean évoque en 1876 dans son Glossaire du Patois de Montbéliard une « espèce de fromage appelé “Camoyote”, “Froumaidgiere” (fromagère) ou fromage de femme » . Vingt ans plus tard, en 1896, Auguste Vautherin dans son Glossaire du Patois de Châtenois mentionne la « Cancoiyote ou Fromagère » ainsi que la « cacoiyate » de Mandeure et évoque une autre piste étymologique, celle de la câquelle, un récipient.

Toutes ces pistes mènent à considérer que le nom cancoillotte n’est peut-être pas le nom originel de notre préparation fromagère, qui a donc pu s’appeler fromage fondue, fromage de femme, froumaidgiere/fromagère. D’ailleurs, ces deux derniers noms liés à la femme ont parfois fait avancer une appellation lié à la « cancoûene » ou « caincoidge », appellation franc-comtoise du hanneton et qui est un surnom donné aux femmes bavardes. Mais l’hypothèse la plus probable est que le secret de fabrication de la cancoillotte a longtemps été détenu par les maîtresses des foyers et que, lors de l’avènement des coopératives laitières au XIXe siècle, le savoir faire a été partagé avec les hommes, notamment les cacouillards du Sud Franche-Comté, et c’est à ce moment que le nom cancoillotte, diminutif de la cacouille, l’action de remuer l’eau, s’est progressivement imposé jusqu’à devenir un nom vendeur, commercial par son originalité.

C’est ainsi que la cancoillotte possède quelque chose que le comté ou le morbier ne possèdent pas : un culte ! Aucun autre produit laitier en Franche-Comté n’a eu plus de poésies et de chansons lui étant dédiées et qui ont formaté l’imaginaire collectif : consommée froide, c’est l’image de la tartine qui vient en tête ; consommée chaude, c’est l’image du nappage des pommes de terre de la saucisse de Morteau qui occupe l’esprit. Enfin, elle est adulée autant qu’elle répugne ! C’est une curiosité locale au prix abordable qui se décline sous différentes formes de pots colorés, en plastique et en verre, qui se laissent parfois oublier hors réfrigérateur pour en affiner le goût, notamment quand elle est à l’ail… Cependant, la cancoillotte sucrée au chocolat a eu un peu moins de succès ! La cancoillotte est donc une préparation fromagère des plus légères, stars des programmes de régime, mais elle est entourée encore pour longtemps d’un lourd mystère concernant ses origines.


Illustration d’en-tête : Cancoillotte, morbier et comté – Arnaud 25/cc-by-sa-4.0.

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