Dans le cadre d’un appel ayant essaimé dans une dizaine de villes, le « monde de la teuf » s’est donné rendez-vous à Besançon. Environ cinq cents festivalier·e·s ont ainsi déferlé dans le centre-ville selon nos estimations, sous l’égide de sept « sound systems » mobiles. Beaucoup de monde en définitive donc, s’élevant contre le renforcement des restrictions visant les « free-parties ». Porté par quarante-quatre député·e·s de la majorité présidentielle, un projet de loi entend pénaliser ces « soirées-concerts sauvages » par des peines de prison ferme. Une énième attaque contre les libertés individuelles pour les voix engagées, qui répondaient par une « manifestive ». Si les consignes nationales préconisaient d’éviter les slogans trop politiques, la capitale comtoise revendiquait au contraire un esprit antifasciste et anti-autoritaire assumé.
Journée de carnaval oblige, le cortège, officiellement déposé et retransmis en live, n’a pas pu s’avancer jusqu’au cœur de la Boucle. Mais le périple fut notable, partant de la Rodia pour terminer sur Chamars en passant par les quais. Sur place, on retrouve surtout une nouvelle génération, issue de Besançon, mais aussi et surtout de toute la Franche-Comté. « C’est l’ensemble de la région qui est là, il y a des gens de partout… Montbéliard, Saint-Claude, Vesoul… Moi je viens du Haut-Doubs, j’ai 25 ans ans et je suis intérimaire. Aujourd’hui, on vient protester contre la répression qui s’amorce, sans se priver d’une convergence des luttes » déclare par exemple Thibaut. Drapeaux antifas, affiches féministes, opposition à l’extrême-droite, références « 1312 » et « ACAB », hommages à Steve Maia Caniço, soutien à la Palestine et « A cerclés » accompagnaient les principaux mots d’ordre musicaux.
Pont Battant, une prise de parole de « la Nuée » résume cette synergie : « On est réuni car la techno, la fête et le monde culturel restent dénigrés, criminalisés et réprimés. Nos évènements sont également parasités par les fafs et les nationalistes, ne les laissons pas gangrener nos milieux et nos soirées. Affirmons nos valeurs antiracistes, antifascistes et LGBT+ friendly, excluons-les. Appliquons le même principe sur toutes les oppressions : les misogynes doivent dégager, les agresseurs aussi. Love music, hate fascism ! ». Une position largement partagée dans les rangs, débouchant sur l’entonnement du slogan « tout le monde déteste la police ». « Je ne suis pas foncièrement anti-flic, mais je ne renie pas le message. La friche où on est installé·e·s avait été interdite, on vient de gagner devant le tribunal. Mais les descentes, on les a quand même. Le droit vient de nous sauver ici, jusqu’à quand ? » souffle un historique.
Dans le département du Doubs particulièrement, arrêtés préfectoraux à la pelle et interventions policières brutales s’avèrent déjà être la règle. « Passion, culture, mode de vie, on lui donnera le terme qu’on veut. Mais depuis plus de trente ans, c’est une nécessité pour bien des gens. Dans une société où tout est toujours plus contrôlé, les espaces d’émancipation deviennent rares. Pouvoir se retrouver sans attentes sociales et commerciales, on y tient vraiment. Poser un cadre pourquoi pas, personne n’est contre, mais on veut garder cette indépendance, c’est l’essence même du mouvement. Nous demandons à établir un dialogue sérieux et durable avec les autorités, mais que cessent d’abord les saisies, amendes, violences à notre encontre. On veut simplement pouvoir s’amuser, pas prendre des coups de matraque ou terminer en détention », nous explique notamment Samuel du « Collectif Franche-Comtek ».
Une cinquantaine de personnes pour défendre « l’état de droit »
Le matin même une petite cinquantaine de personnes étaient parties en défilé pour défendre « l’état de droit », dénonçant les envolées lepenistes égratignant la justice. L’initiative locale émanait des quelques habituel·le·s membres de « Solidaires » et de la « FSU », misant sur une mobilisation spontanée analogue à la « marche des solidarités » pour casser un entre-soi pourtant criant. En guerre contre nombre d’organisations antifascistes, intersectionnelles et de terrain, la dizaine de collectifs concernés affirment en effet n’avoir été en rien associés, sollicités ni prévenus. Exit aussi les jeunes, racisé·e·s, habitant·e·s de quartiers, activistes LGBT+, référent·e·s d’associations… Résultat, un véritable fiasco, mêlant clanisme, endogamie et longs monologues. Le contraste avec l’après-midi n’en a été que plus terrible, admettent les présent·e·s aux deux expériences interrogé·e·s.
Illustration d’en-tête : Aperçu de la « manifestive », quai Adolphe Veil-Picard.