Entre 1946 et 1975 la capitale comtoise voit sa démographie doubler, en particulier avec l’apport de flux issus de la ruralité et des migrations. Un bouleversement majeur, qui aura des répercussions économiques, culturelles, mais aussi urbaines. En effet les nouvelles installations ne sont pas toujours harmonieuses, car si certains quartiers considérables comme Planoise sortiront de terre beaucoup de familles passent alors parfois durablement par les bidonvilles et cités de transit. Ce fut le cas aux Founottes devenues l’Escale, dont les plus ancien·ne·s souhaitent aujourd’hui valoriser et transmettre la mémoire.
« Malgré les difficultés, la solidarité était la règle »
Vendredi dernier, ielles étaient près de deux-cent réuni·e·s dans la salle municipale de Châtillon-le-Duc. Entre les retrouvailles, les animations et les grillades, une mémoire commune s’est redessinée comme le fil rouge de la soirée. Car toutes et tous sont passé·e·s par les Founottes devenues l’Escale, un secteur résidentiel jadis situé dans le nord-ouest de la ville entre les Montboucons et Saint-Claude. L’initiative fut d’ailleurs lancée par Lattifa Hakkar, qui y a grandit et voulait marquer le coup pour son père : « Nous en discutions depuis longtemps en petits cercles, mais je me suis dit qu’il fallait désormais concrétiser cela. Alors on s’est investi·e·s, au final ce fut un beau succès ! »
La demande était en effet forte, pour ces habitant·e·s, descendant·e·s, ou protagonistes divers. « La plupart ne se sont pas vu·e·s durant quinze, vingt, vingt-cinq ans parfois ! Nous avons convié des figures centrales, comme la directrice de l’établissement où les enfants étaient scolarisés ; elle a quatre-vingt-sept ans aujourd’hui, mais tenait plus que tout à être là. C’est cet esprit dont beaucoup restent nostalgiques, une communauté soudée où malgré les difficultés la solidarité était la règle » précise encore l’organisatrice. L’engouement et l’émotion suscitée la confortant pour envisager une seconde édition, cette fois portée sur l’exposition d’archives photos/vidéos.
Une histoire mouvementée et oubliée
C’est à partir des années 1950 que les premières installations se forment autour de baraquements de fortune faites de tôles, abritant principalement des immigré·e·s et leur famille débarquant alors dans la période d’après-guerre. On y retrouve en particulier les Hakkar, originaires de Khenchela, mais aussi des foyers tziganes, ainsi que quelques locaux. Les pouvoirs publics décident de casser le bidonville des Founottes, inaugurant la cité de transit dite de l’Escale en 1969. Un logis qui va s’installer dans la durée à l’instar de l’Amitié et des Quatre-cent-huit, faisant émerger ce que l’historien Vincent Joseph décrit comme « un ghetto algérien, au sens géographique, culturel et administratif ».
Les bâtiments seront progressivement démolis dans les années 1990, une poignée d’occupant·e·s étant encore compté·e·s en 1995. Ce qui n’empêchera pas une importante effervescence citoyenne pendant plus de vingt ans, avec les associations « Arete » et « Masque » dans les années 1970 et surtout « l’Association Culturelle et Sportive de l’Escale » (ACSE) fondée par Hamid Hakkar en 1980. Amélioration des conditions de vie, tournois de football inter-quartiers, visibilisation et considération de la population auprès du reste de Besançon, en seront les principaux fers de lance. Une impulsion qui fera également naître « radio Sud », antenne actuellement toujours vivace.
Illustration d’en-tête : Aperçu de la cité de l’Escale, date inconnue – archives privées.