MURmur tenu par son autrice

MURmur, paru aux éditions Quidam en 2023, commence avec le récit d’une femme incarcérée suite à une fausse couche. Roman, poésie, composition graphique, forme théâtrale, tout s’entremêle sous la plume de l’autrice, Caroline Deyns, pour nous rappeler les combats passés, le droit à disposer de nos corps et la fragilité de nos acquis.
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Lutter, écrire, faire ressentir

Lorsqu’on ouvre le livre, on trouve un texte agencé en carrés et en colonnes étroites. L’écriture, ramassée sur elle-même, donne l’impression d’un souffle court, d’une parole comprimée. Caroline Deyns écrit avec l’envie d’une littérature immersive où la forme s’imbrique avec le fond : « Je voulais qu’à la lecture on ressente physiquement la détresse du personnage, qu’on ait du mal à respirer comme cette femme qui est en prison, qui souffre de la claustration, du silence ». À la fin du livre la composition graphique est l’exact négatif de la première page : la parole s’est ébruitée, déployée hors des murs. Le début et la fin se répondent : « il y a quelque chose de cyclique, le combat [pour l’IVG] ne sera jamais terminé, on y revient à chaque fois ».

Deux temporalités se mêlent dans ce roman, inspiré à la fois du Salvador, où une fausse couche suffit à faire inculper une femme pour homicide aggravé et l’envoyer en prison, et du procès de Bobigny, qui a joué un rôle majeur dans la dépénalisation de l’IVG en France. Pour l’autrice, qui est aussi professeure de Lettres, il est important de continuer à raconter cet évènement et d’en nourrir la mémoire collective : « Quand je fais l’argumentation avec mes élèves, je leur donne le discours de Simone Veil ou la plaidoirie de Gisèle Halimi, et je me rends compte à chaque fois de leur méconnaissance du combat qui a précédé la légalisation de l’avortement ». Dans MURmur, pas de nom de pays, ni d’époque. Caroline Deyns a volontairement enfermé son récit dans un flou historique : « le combat est à la fois passé, présent et futur ».

Rendre hommage

L’écriture de Caroline Deyns est animée par des femmes libres qui placent leur corps au centre de leur art, telles Niki de Saint Phalle et Isadora Duncan qui ont inspiré deux autres de ses romans. Dans MURmur on trouve des références à Virginie Despentes, Virginia Woolf, Helen Bessette et Helen Zahavi : « Ce sont des hommages à des autrices que j’aime bien, des livres qui m’ont marquée ». On retrouve notamment Bella, l’héroïne de Dirty Week-end, aux côtés de la protagoniste principale de MURmur : « J’ai lu ce livre pendant l’écriture, il y a quelque chose de jubilatoire dans sa violence extrême ». Dans Dirty Week-end, face à la violence ordinaire, Bella devient tueuse en série : « Sa réponse est une violence à la mesure de celle qu’elle subit. Il y a quelque chose d’extrêmement salvateur dans le fait de se dégager de tout ça, cracher, vomir ça dans l’art, dans la littérature ».

Dans MURmur, le collectif est central : « Parfois on me dit que le livre est noir, mais je ne trouve pas, parce que j’essaie vraiment de mettre en lumière des chaines de solidarité, même si au départ c’est à mi-mot ou dans le silence. Il y a une connivence tacite, une compréhension de l’autre, des maillons qui se créent entre les femmes ». Tout au long de l’œuvre, ce processus permet à chacune d’alimenter la défense avec les capacités qu’elle possède. Une attitude qui fait écho à la manière dont la sororité est invoquée et mise en œuvre aujourd’hui : « Par le passé, on a été éduquées à voir l’autre femme sans cesse comme une rivale, et maintenant on se redécouvre comme des complices, des alliées et ça fait tellement de bien ».

Portrait de Carolyne Deyns.
Portrait de Carolyne Deyns.

Écrire contre les tabous

Une des scènes du roman raconte le vécu traumatique d’une fausse couche, sujet dont on commence à briser les tabous : « Il n’y a pas longtemps un journaliste m’a demandé si le corps allait disparaitre du roman. Le fait que les femmes ont de plus en plus voix en littérature fait que forcément le corps va avoir une place autre. On va pouvoir enfin commencer à parler de choses depuis trop longtemps tues. Fausse couche, ménopause, avortement, tous ces sujets, il est temps de les mettre sur le devant de la scène ».

En écrivant MURmur, Caroline Deyns veut avant tout rappeler la nécessité de rester vigilant-e-s : « Au début je voulais finir sur le discours de Simone Veil, mais ça aurait été fausser l’objectif premier : faire de ce texte un cri de sentinelle ». La fin du récit s’inspire ainsi d’un témoignage de Marie-Claire Chevalier qui raconte avoir été reconnue dans le métro et agonie d’insultes, peu après le procès de Bobigny. C’est une phrase de son assaillante qui conclut froidement le récit : « rappelle bien aux autres salopes que toute loi est réversible ». C’est d’autant plus d’actualité que l’inscription de l’IVG dans la constitution ne garantit rien : « Déjà ce n’est pas le droit, c’est la liberté. Et en l’occurrence avec la disparition des centres de planning familial, il y a lieu de s’inquiéter. Le quinquennat la grande cause des femmes, quelle blague ».

Rappelons également que le Rassemblement National revendique, pour les militants anti-avortement, la possibilité de faire des manifestations devant les cliniques : « C’est un pas de plus vers ce qui se passe aux États-Unis ». Néanmoins pas besoin d’attendre le RN pour que le droit à l’IVG soit fragilisé, Macron et son réarmement démographique représentent déjà une menace bien réelle : « Ça nous pend au nez aussi, une espèce de politique nataliste ».

Une culture à double tranchant

Avec MURmur, Caroline Deyns souhaite entretenir la mémoire des combats et des gestes primordiaux pour les femmes. Elle fait le parallèle avec le film Annie Colère qui traite des avortements pratiqués par le MLAC dans l’illégalité : « Ça parle de la méthode Karmann, dont les gestes sont relativement simples. Ce film est important car ces gestes doivent être transmis, pouvoir continuer à s’enseigner, pour nous éviter de laisser nos corps uniquement au monde médical ». Si la littérature et le cinéma sont capables de porter une parole vitale, ils peuvent aussi véhiculer des représentations nocives : « C’est vraiment insidieux parce qu’il y a une culture du viol qui est distillée, à laquelle on est aveugle. Ça fait beaucoup de mal. Le rapport qu’on a avec les hommes est tellement contraint par cette vision qu’on a ingérée ». Pour ces raisons, beaucoup sont amené·e·s, consciemment ou non, à pratiquer le tri sélectif : « Je ne lis presque plus que des femmes. Ce n’est pas volontaire, mais spontané : enfin de la littérature qui résonne dans le ventre et taille les œillères en pièces ! »

Du tac au tac

Qu’est-ce qui nourrit ton écriture ?
La colère. Et le besoin de dire cette colère. Je travaille à l’aiguiser.

La première lecture qui t’a marqué ?
Colette. Ma première vraie extase littéraire, parce qu’il y a une sensorialité extrême, une écriture du corps.

La place de l’écriture dans ta vie ?
Une place d’équilibre. C’est un espace de parenthèse. Ce n’est pas écrire à ses heures perdues mais pendant ses heures gagnées.

Comment tu as commencé à écrire ?
En lisant. Jeune j’étais une lectrice boulimique. Je me faisais un livre par jour et puis, naturellement, j’ai eu envie d’écrire aussi.

Des projets en ce moment ?
J’en ai quatre. Deux romans et deux poèmes narratifs. Ça tourne autour du corps et de la femme. Pour l’instant ça mature dans mon esprit. Cet été j’aimerais bien les mettre sur papier.

 

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