Dans la capitale comtoise, comme chaque année, les démonstrations populaires furent nombreuses pour la « journée internationale des droits des femmes et des minorités de genre ». Deux temps forts étaient à noter ce samedi 8 mars, à travers une manifestation qui a réuni quelque 1 000 participant-e-s et un large village associatif organisé place Granvelle. La journée fut également marquée par d’autres actions parallèles, avec l’inauguration de la statue figurant Jenny d’Héricourt, ou les préparatifs du baptême de deux nouvelles rues. Une offre très riche qui se poursuit tout au long des mois de mars, avril et mai, avec conférences, expositions, rencontres, mêlant politique, culturel et sportif. Le temps d’un combat salutaire, municipalité, associations, collectifs, syndicats, partis, s’unissent donc pour faire bouger les lignes.
Une intersyndicale inédite
Esplanade des Droits Humains, rendez-vous était donné à treize heures pour un défilé dans le centre de Besançon. Celui-ci a été initié par « l’intersyndicale féministe du Doubs », créée à l’occasion du 25 novembre 2024. Comme d’autres avant elleux, ses partisan·e·s ont en effet considéré que les avancées en matière de féminisme devaient être en premier lieu soulevées par les concerné·e·s. « Il ne s’agit pas d’un acte d’hostilité ou de sécession, mais d’un besoin d’avoir un espace consacré à ces questions » cadre Sandrine Cadon, professeure d’arts plastiques au lycée Tristan Bernard de Planoise. Les inégalités économiques et professionnelles sont au centre de l’argumentaire, rappelées sur le lieu de départ : « À diplôme et poste égal, l’écart de revenus homme-femme reste encore en moyenne d’environ 25%. C’est un chiffre parmi d’autres, mais qui en dit quand même long ».
La coalition ainsi formée réunit les sections de la « Confédération Générale du Travail » (CGT), de la « Fédération Syndicale Unitaire » (FSU) et de « l’Union syndicale Solidaires ». Les autres centrales ne semblent pas sensibles à un éventuel ralliement, pour l’instant. Ce qui n’empêche pas des rapprochements avec les antennes analogues, telles que « l’Union Nationale des Étudiant·e·s de France » (UNEF). Sa représentante locale, Énora Vagnaux, ayant pris la parole pour expliquer les avancées possibles, comme la récente mise en place à « l’université Marie et Louis Pasteur » de congés menstruels. Une motion adoptée à l’unanimité, qui devrait se traduire prochainement dans les faits. Léo, pour « Nouvel Esprit », détaillera également les problématiques caractéristiques rencontrées par les personnes trans, après les confrontations relevées l’année dernière.
Comme ces deux orateurs·ices, les rangs étaient essentiellement constitués de moins de trente ans. Environ 1 000 manifestant·e·s étaient comptabilisé·e·s selon la FSU, concordant avec nos observations au plus fort du cortège. Les pancartes de tête témoignaient de ce nouveau souffle, ayant pu lire : « femme, vie, liberté » ; « on ne naît, pas femme mais on en meurt » ; « soutien aux femmes migrantes » ; « dans 44 féminicides, c’est l’été » ; « des droits pour les travailleureuses du sexe ». Les allusions explicitement antifascistes étaient également abondantes avec la reprise d’un célèbre chant italien, alors que le controversé « hymne des femmes » a été entonné dans une version (enfin) expurgée de ses éléments les plus discutables. « C’était un beau moment, une véritable communion comme on aimerait en connaître davantage » s’enthousiasme Ninon, apprentie-cuisinière.

Les pouvoirs publics dans de petits souliers
Si les organisations les plus institutionnelles tentent de maintenir une synergie avec les officiel·le·s, sur le bitume certain·e·s proclament au contraire une rupture parfois très nette avec elleux. Au sein de la manifestation, beaucoup étaient ainsi rivé·e·s sur la situation à Paris, important catalyseur de cette défiance. Alors que le préfet Laurent Nuñez avait tenté l’interdiction d’une marche nocturne la veille, la mobilisation francilienne fut entachée par une parade d’extrême-droite directement placée sous la tutelle des autorités. « Nos administrations sont connues pour leur zèle quant aux directives nationales, dans ce contexte, on ne peut donc pas exclure qu’un jour on doive ici aussi passer par des entraves et interdictions. Oui évidemment, on est quelques un·e·s à comprendre, voire à souscrire à ces inquiétudes » s’alerte par exemple une encartée de la FSU.
État, justice, police, gouvernement, presse, ont été ainsi épinglé·e·s à travers les pancartes et les slogans. Divers·e·s participant·e·s, notamment membres de « Solidarité Migrant·e·s Réfugié·e·s » (SolMiRé), visibles avec leurs affichettes « non au racisme », abondent : « Nos revendications féministes, c’est également dénoncer les politiques désastreuses menées contre les droits des étrangers/étrangères, le climat d’islamophobie inouï qui règne, ou le validisme porté en norme… Ces attaques, elles ont aussi lieu à Besançon ! » D’autres insistent sur la nécessité de faire la part des choses, entre les différentes administrations. « Que la plupart des appareils appliquent désormais des choix contestables, c’est une évidence. Mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac, je crois qu’on a une mairie qui essaie des choses » plaide un sympathisant écologiste.
Illustration de ce bouillonnement lors de la dispersion, au cœur du village associatif promenade Granvelle. Habitué des coups d’éclat, un militant complotiste décide de brûler un pavillon états-unien sur la place publique. Il en sera quitte pour un simple contrôle d’identité, mais l’incursion soudaine d’uniformes ne manque pas de susciter des tensions. Pendant que les représentant·e·s des syndicats, bien à l’avant durant tout le trajet, prenaient immédiatement la poudre d’escampette, une foule, surtout jeune et sans appartenance, s’est spontanément formée, huant copieusement le groupe de fonctionnaires dépêché, jusqu’à son départ du site. « Vous êtes plus rapides à intervenir pour un drapeau que sur des agressions sexuelles » tempête une voix, au milieu de paroles en soutien à la cause palestinienne ou proclamant « les pouvoirs publics ne sont pas des alliés ! »

« Ces combats, encore aujourd’hui, ne sont pas une évidence »
À 14h00 promenade Granvelle, la journée s’est donc poursuivie avec un large village associatif, dédié aux droits des femmes et des minorités de genre, ainsi qu’à la lutte contre les violences sexistes, sexuelles et patriarcales. Disposant de stands, de multiples associations étaient présentes : « Solidarité femmes », « Nouvel esprit », le « Groupe d’Actions Féministes » (GAF), « Nous Toustes », « Partage, Droit, Autonomie » (PDA), « Intransigeance », « Trans’Comté », le « Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles » (CIDFF), le « Centre d’Information et de Consultation sur la Sexualité » (CICS), « Solidarité Migrant·e·s/Réfugié·e·s » (SolMiRé), « Antispéfem », « les Ateliers Populaires », le « Resto Trottoir », « Hôp Hop Hop » ou la librairie « l’Interstice », ont ainsi pu longuement présenter leurs activités, proposer des animations et échanger avec la population.
« Que faire face à une situation de violences intrafamiliales, qu’est-ce que l’identité de genre, comment avoir concrètement recours à l’interruption volontaire de grossesse, quel quotidien après la naissance d’un enfant, y a-t-il des ressources spécifiques concernant les personnes handicapées… Toutes ces demandes qui fusent dans la société, nous tentons d’y apporter des réponses, gratuites et sans jugement, au plus près des gens » indique une bénévole du CICS, institution locale qui fête ses cinquante ans dans les prochaines semaines. Un anniversaire analogue à la dépénalisation de l’IVG, non sans craintes. « Aucune avancée n’est gravée dans le marbre, c’est palpable avec les offensives réactionnaires en cours partout dans le monde. On a aussi besoin d’une génération qui reprenne le flambeau, que ces acquis continuent de vivre et d’être défendus » poursuit notre interlocutrice.
« Le relai est là, bien que sur des formes et modalités différentes de la vision soixante-huitarde très dominante. Pour nous, le féminisme va de pair avec l’intersectionnalité, aujourd’hui ça implique forcément d’y inclure des oppressions qui furent longtemps déconsidérées et qui ne sont pas toujours dans les programmes ou les médias. Entre passation et conflictualité, en tout cas, nous poursuivons avec fierté les batailles mené·e·s par les plus ancien·ne·s en les adaptant aux réalités contemporaines » rassure-t-on du côté de « Nous Toustes ». Une somme de thématiques toujours émergentes, que ce soit la cause LGBT+, le travail du sexe ou encore la convergence avec l’antispécisme. « Petit à petit, nous trouvons notre place. Mais ces combats, encore aujourd’hui, ne sont pas une évidence, même dans nos milieux » concède une référente du collectif « Antispéfem », lancé ces derniers mois.
Illustration d’en-tête : Aperçu de la tête de cortège, Grande-Rue.