Présent à Micropolis chaque année depuis 17 ans, le « Salon Bio&Co » fait cette année peau neuve et inaugure sa nouvelle version, le « Salon Bien-Être, Bio et Spiritualité ». Si son prédécesseur pouvait se permettre un certain déni quant au pédigrée d’une partie de ses intervenant·e·s, noyé·e·s dans une offre « bio » légitime, l’évolution de l’événement rend désormais cet exercice plus difficile.
L’affiche promotionnelle nous avait déjà mis la puce à l’oreille, tranchant cette année avec les éditions précédentes. Là où l’ancien « Salon Bio&Co » adoptait une communication très axée sur la nature et la consommation locale, la mouture 2025 affiche nettement la couleur : Exit le vert « naturel » et le panier de légumes locaux, bonjour la pose méditative sur fond de mandala énergétique. La programmation est à l’avenant : Si les visiteureuses sont toujours accueilli·e·s par un ensemble de productions bio, essentiellement en alimentation et en beauté, une grande partie du salon est désormais pleinement dédiée au spirituel. Un certain genre de spirituel. Rien qui ne justifierait un article, si les prétentions des exposant·e·s n’étaient pas si extravagantes, voire dangereuses.
Comme nous le décrivions dans cet article paru vendredi 11 avril, un simple coup d’œil sur la programmation permettait déjà d’émettre de sérieuses réserves sur l’orientation de l’événement, entre porosité à l’extrême droite et propos complotistes. Sur place, le discours est aussi incohérent que ce à quoi l’on pouvait s’attendre. Entre promesses thérapeutiques et « bien-être », le flou est parfois savamment entretenu, les quelques exposant·e·s interrogé·e·s niant formellement se substituer à des soins médicaux, malgré les nombreuses occurrences de termes comme « soin », « thérapie », « guérissage » (sic) ou encore « médecine holistique » sur leurs brochures. Une confusion présente également dans les explications fournies par les tenant·e·s de diverses disciplines promues.
C’est en effet dans l’exposition des détails des pratiques que le terme de « pseudo-sciences » prend tout son sens. Le mot « énergies » est omniprésent, très souvent accompagné de « fréquences », « ondes », « magnétiques » et de l’inratable « quantique ». Des concepts empruntés aux sciences, mais dont l’usage accolé à des éléments tels que « l’aura », « l’âme », « Gaïa » ou encore « sacré » rend caduque tout éclaircissement des méthodes et des mécanismes en jeu. Un mélange des genres si opaque qu’interrogés à leurs stands respectifs, trois praticiens n’ont pas eu la même définition du mot « énergie », l’un affirmant que les « bonnes énergies » étaient les négatives, l’autre les positives, un troisième enfin se contentant de les mentionner sous un angle « équilibre/déséquilibre ».
À une encablure des stands de voyance, en face d’un étal de pierres aux propriétés énergétiques, la discussion s’engage avec un praticien de la « géobiophysique », une discipline controversée (comprendre « inefficace ») destinée à « réorganiser l’information » reçue par le corps, lorsque celle-ci provoque des dysfonctionnements, des mal-êtres, notamment lorsqu’elle est perturbée par l’environnement (ondes électromagnétiques, wi-fi, téléphonie, etc). Un diagnostic qui pourrait vous être utile : si vous vous rendez compte que vos problèmes viennent d’une eau qui a besoin d’être purgée de ses « mauvaises énergies », vous pourriez alors être tenté·e par l’achat d’un accessoire électronique géobiologique destiné à les « retourner », vendu par la concurrence à 280€ pièce, trois stands plus loin.
À explications fantaisistes, résultats illusoires. Sans avoir la moindre idée des fonctionnements biologiques et psychologiques de notre corps, ces praticien·ne·s induisent nombre de personnes en erreur et peuvent les conduire à abandonner des diagnostics ou des traitements nécessaires. Les cas ne sont pas isolés : dans son rapport dévoilé cette semaine, la « Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires » (MIVILUDES) indique que 37% des signalements relatifs aux dérives sectaires concernent la santé et le bien-être, un chiffre passé devant les signalements liés aux cultes et aux spiritualités (35%). Sans surprise, les pratiques croisées dans ce salon sont largement documentées comme étant de potentielles entrées vers ces emprises.
Autre exemple avec l’espace librairie, où tout un espace a été dédié aux conférenciers et conférencières dont le nationaliste Pierre Jovanovic. Si son « Enquête sur l’existence des anges gardiens » présentée le samedi est mise à l’honneur, certaines publications encore bien plus contestables sont également visibles. Comme « Adolf Hitler ou la vengeance de la planche à billets », où le feuilletage de quelques pages laisse apparaître des théories conspirationnistes aux relents antisémites au sujet de la prétendue filiation juive du dictateur ou sa soi-disant mésaventure avec une prostituée israélite. Confrontés à l’offre de tels écrits, le commerçant ainsi que l’organisateur, Patrice Marty, botteront en touche, expliquant que la prose n’est pas interdite et que sa vente ne vaut pas approbation.
Le constat est sévère, mais visiblement partagé… Même sur place, par les plus partisan·e·s de ce type d’évènements. Dans les allées, nous rencontrons ainsi une connaissance et ses ami·e·s, qui tiennent une échoppe. « J’ai été à Bio&Co pendant plus de dix ans, je suis une fidèle. Les médecines alternatives et l’alimentation saine, ce sont des choses dont il est important de discuter même avec des désaccords. Mais cette année, je trouve que ça ne va pas du tout. Une place prépondérante a été accordée à la spiritualité, avec des choses franchement extravagantes et uniquement destinées à faire du fric. Ce que c’est devenu ne me plaît pas du tout, sans même parler de l’organisation ! Avoir une place ici c’est 7 à 8 000€, des emplacements beaucoup plus petits et onéreux qu’avant » nous indique-t-elle.
Détox, réharmonisation de l’âme, assainissement énergétique de son domicile, voyance ou encore médiumnité, mais aussi conférences faisant la promotion des annales akashiques, des liens aux vies antérieures ou du négationnisme historique au sujet des pyramides de Bosnie, autant d’éléments douteux qui interrogent : la gestion de Micropolis est-elle au courant de la fausseté voire de la dangerosité des thèses énoncées tout au long du week-end ? Les deux médias partenaires, « l’Est Républicain » et « Ici Besançon » (ce dernier ayant eu droit à une quatrième de couverture entière sur la brochure du salon) ont-ils conscience qu’ils légitiment un tel événement par leur partenariat ? Le rôle de la presse doit-il vraiment être celui d’un tremplin pour des pratiques trompeuses et potentiellement néfastes ?
Peha et Toufik-de-Planoise.
Illustration d’en-tête : Photographie fournie dans le kit presse, sur le site du « salon Bien-Être, Bio & Spiritualité ».