Désormais incontournable sur la scène alternative locale, Lucie Dernière Minute mixe convivialité et convictions. Derrière son DJ-set et sa gouaille, elle marque les petites et grandes soirées de sa patte. « Tant sur les opinions que les pistes, j’essaie d’être la personne la plus ouverte possible. Sans jamais renier mes principes, que j’entends bien défendre. Il m’arrive ainsi de refuser de passer des artistes, comme Rammstein dernièrement. Même chose avec Bertrand Cantat, que j’ai banni de mon répertoire. Ça a été dur car j’étais une grande adepte de ses concerts pirates, je dois toujours connaître certaines chansons par cœur. Mais depuis 2003 et le féminicide de Marie Trintignant, ce n’est plus possible » résume-t-elle.

Lucie voit le jour à Vesoul en 1983, grandissant dans un ensemble du centre-ville. « C’était un secteur un peu à part, ressemblant à Planoise par certains aspects. Mais j’ai beaucoup aimé, je jouais souvent avec les gamins du coin » se remémore-t-elle. Elle est surtout élevée par une maman qui travaille dans la fonction hospitalière, ses parents ayant divorcé peu après sa naissance. Elle poursuit dans la même voie, après l’obtention de son bac en 2001 et un diplôme d’infirmière en 2004. « J’ai commencé à taffer de suite, en particulier dans le milieu de la pédopsychiatrie. En Haute-Saône pendant cinq ans, puis j’ai débarqué sur Besançon vers 26 ans. Une ville dans laquelle je venais déjà régulièrement, par les attaches que ma mère y avait et les contacts que je me suis faits. Il y avait un milieu singulier, dans lequel j’ai évolué ».

C’est au lycée qu’elle découvre la musique, s’y consacrant durant son temps libre. « Je traînais au Privilège à Vesoul, où je pouvais écouter divers morceaux. Je ne sais pas trop d’où me vient cette passion, dans la famille il y avait toujours un fond sonore de variétés, mais sans plus. Buena Vista Social Club ou Patrick Bruel y passaient, on restait dans ce registre. Grâce aux magasines de rock et à la lecture de Virginie Despentes, j’ai pu parfaire cet intérêt. En ayant le permis, ça s’est accéléré, ce fut une véritable liberté. J’ai pu fréquenter les SMAC de la région, les teufs et les établissements de Stras ou Besac comme l’Asilum et les Passagers du Zinc. Un soir, on m’a proposé d’y mixer, c’était il y a douze ans. J’ai tenté avec mon pote Nills, depuis je n’ai plus arrêté. Avec une indépendance d’esprit et de fait, des portes se sont facilement ouvertes ».

En parallèle, underground et activisme se dessinent. « J’avais fait mon stage professionnel à Aides, donc avec une approche du milieu et de la Réduction des Risques. Mais avec l’Aloba à Besançon-la Madeleine, j’ai plongé dans le punk lesbien ». Une effervescence qui l’a portée de 2006 à 2012, avec d’autres références comme « les Fées Minées » ou le « collectif XYZ ». « Beaucoup des figures présentes à cette époque ne sont plus là, une bonne part ayant repris des projets ailleurs en ruralité. Ça donne de chouettes projets comme une maison du côté de Rioz, mais sur place les choses se sont un peu tassées… » Avant une fracture nette, via les débats associés au « mariage pour tous » : « Ces années-là ont été terribles pour nous, tout le monde était abattu ». Si l’idée de lancer une pride comtoise était alors envisagée, ce climat délétère l’a ajournée.

« Il faut se remettre dans le contexte, la volonté était bien là, mais on a considéré que Besançon n’était pas encore prête. Ça ne nous a pas empêché de créer des espaces, afin de faire émerger une parole queer. C’est ainsi qu’est apparu le festival Hors-Clichés jusqu’en 2018, ce fut mon premier investissement réellement collectif. Rentrer dans le champs de la politique, de la culture, de la santé, c’était encore inédit. Dans la foulée, les marches des fiertés se sont enfin imposées, je crois qu’ici on doit en être à la cinquième édition. Avec les nouvelles générations, de nombreux collectifs ont pris le relais pour ancrer et diversifier toujours plus les revendications ». « Nouvel Esprit », « Transcende », « le Cercle », « la Furieuse », « Intransigeance », « Trans’Comté », « Fiertés Racisé·e·s », autant de noms qui, aujourd’hui, sonnent comme des évidences.

Dans cette effervescence, la quarantenaire poursuit son chemin. « L’industrie musicale a bien évolué, à l’image des Eurockéennes de Belfort par exemple. J’ai un peu de nostalgie pour les premières éditions, qui étaient dans une patine inimitable. Mais pour avoir des scènes aussi importantes de nos jours, il faut cadrer car les coûts ne permettent pas de se mettre à dos autorités, mécènes et sponsors. Preuve qu’il n’y a pas de fatalité toutefois, je continue de m’y rendre chaque été pour l’ambiance et les têtes d’affiche toujours au top. Perso. j’ai l’honneur d’animer la pride, de participer à des évènements comme à Hôp Hop Hop, d’apporter des réflexions sur l’éventualité d’un centre LGBT+. Après quinze piges comme blouse blanche, je suis au bout d’un cycle. Je souhaite donc d’autant plus m’impliquer ces prochaines années, après on verra ».


Illustration d’en-tête : Lucie Dernière Minute, aux platines sur un char de la pride 2024.

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